Natalie Portman, Jude Law, Joseph Gordon-Levitt et Peter Dinklage. Tels devaient être les quatre comédiens lauréats d'un Deauville Talent Award lors de cette 49ème édition du festival consacré au cinéma américain. Mais tous ont annulé leur venue, par solidarité avec les acteurs et scénaristes en grève à Hollywood depuis plusieurs semaines.
Malgré les absences, les hommages seront quand même rendus. L'occasion, pour le festival, de revenir sur la carrière de chacun. Et de nous pencher sur celle de Peter Dinklage, à l'affiche de She Came to Me pendant cette édition. Un CV que l'on pourrait résumer à Game of Thrones. A tort.
ÇA TOURNE A MANHATTAN (1995)
Derrière le Deauville Talent Award remis à Peter Dinklage, il y a l'idée d'une boucle qui se boucle. Car l'acteur était au casting du tout premier lauréat du Grand Prix remis par le Festival : Ça tourne à Manhattan, comédie sur fond de tournage chaotique qui sent le vécu.
Et dans laquelle le futur interprète de Tyrion Lannister tient son tout premier rôle à l'écran. Il y a pourtant Steve Buscemi et quelques visages connus du cinéma indépendant américain (Catherine Keener, Dermot Mulroney). Mais Peter Dinklage vole les scènes dans lesquelles il apparaît.
Et pour cause : il joue un acteur de petite taille fatigué de l'emploi systématique de ses semblables dans les séquences de rêve. Avec un costume turquoise du plus bel effet et un sens de la comédie qui fera régulièrement mouche dans la suite de sa carrière.
LE CHEF DE GARE (2003)
Si Ça tourne à Manhattan était le film de la révélation, il faut attendre la décennie suivante pour que Peter Dinklage se fasse réellement remarquer. Grâce à un futur vainqueur du Grand Prix de Deauville avec The Visitor : Tom McCarthy, qui lui offre le rôle principal du Chef de gare.
Celui d'un homme solitaire atteint de nanisme, qui déménage dans la gare du New Jersey dont il a hérité, après la mort de son seul ami. A défaut de calme, c'est auprès d'un Cubain aussi sympathique que bavard (Bobby Cannavale) et une femme gaffeuse et envahissante (Patricia Clarkson) qu'il va trouver sur place. Deux personnages qui vont finalement embellir son quotidien.
Un long métrage qui possède toutes les caractéristiques du cinéma indépendant américain : focalisation sur des personnages marginaux, alternance de légèreté et de gravité… Mais tout fonctionne et nous touche en plein cœur, car Tom McCarthy trouve le bon équilibre entre ces éléments, et tire pleinement parti de son casting.
Dont Peter Dinklage, qui révèle une sensibilité qu'on lui connaissait alors peu et parvient à nous émouvoir avec ce rôle en constante évolution, qui lui a (entre autres) valu une nomination aux Independent Spirit Awards en 2004. L'acteur retrouvera Tom McCarthy quelques années plus tard, avec moins de réussite pour ce dernier.
Car c'est au réalisateur que l'on doit le pilote de Game of Thrones rejeté par HBO et confié à Timothy Van Patten, point de départ du phénomène que l'on connaît. Mais qui sait si Tom McCarthy aurait remporté l'Oscar du Meilleur Film grâce à Spotlight, si son aventure à Westeros s'était mieux passée ?
JOYEUSES FUNÉRAILLES (2007)
Tout aussi apprécié et récompensé qu'il soit, Le Chef de gare, de par son statut indépendant et son absence de tête d'affiche, reste relativement méconnu. Il n'est pas trop tard pour y remédier, mais il faut reconnaît que Joyeuses funérailles est le film qui a davantage révélé Peter Dinklage auprès du grand public.
Vue par plus de 250 000 spectateurs en France, malgré une sortie sur 49 copies, la comédie déjantée de Frank Oz ne manque pas de surprises et de scènes mémorables. Mais il est difficile d'oublier Peter Dinklage dedans.
Sans trop en dire, car il vaut mieux en savoir le moins possible pour que le crescendo fonctionne à plein régime, sachez que son personnage a un lien tout particulier avec le défunt dont l'enterrement sert de point de départ au récit. Et que ses révélations concourent grandement à faire déraper la situation, jusqu'à une séquence hilarante impliquant le cercueil.
Sortie en 2007, cette comédie anglaise a fait l'objet d'un remake trois ans plus tard. Porté par un casting majoritairement afro-américain, il compte néanmoins Peter Dinklage, seul comédien à jouer le même rôle dans les deux versions.
PÉNÉLOPE (2008)
Plus encore que dans Joyeuses funérailles, où il ne dépareille pas au milieu de la folie de l'ensemble, le timing comique de Peter Dinklage fait des ravages dans Pénélope, comédie fantastique qui avait des airs de sous-Tim Burton avec sa jeune femme affublée d'un groin de cochon.
La surprise n'en a été que plus belle, malgré un box-office à peine supérieur à 110 000 entrées. Le fantastique est savamment dosé, la romance n'est pas trop sucrée et la comédie fait souvent mouche, tant dans l'aspect burlesque que dans les échanges qui rappellent, toutes proportions gardées, les grandes heures du genre pendant l'âge d'or hollywoodien, entre les années 30 et 50.
Et beaucoup de rires viennent de Peter Dinklage, enquêteur qui profite de sa petite taille pour approcher au plus près des secrets de la famille de l'héroïne (Christina Ricci). Sa scène dans un parloir avec Nick Frost compte parmi les plus drôles, et le talent comique de l'acteur provient en grande partie de son sérieux et son air dur, qui contrastent à merveille avec l'humour qui se dégage des situations.
Ce joli conte de fées moderne et encore trop méconnu nous le rappelle, car la mauvaise humeur constante de son personnage fait partie de ce qui nous enchante à l'écran. Paradoxalement.
GAME OF THRONES (2011 - 2019)
Peut-on évoquer la carrière de Peter Dinklage sans faire mention de Game of Thrones ? Si l'on ne parle que des films, oui. Sinon, c'est tout bonnement impossible, tant son CV est à tout jamais marqué par ce qui constitue l'un des derniers spécimens en date de vrai phénomène télé, qui dure dans le temps et déchaîne les passions au point que beaucoup se levaient à 3h du matin pour découvrir chaque nouvel épisode en direct.
Pendant huit saisons, Peter Dinklage a brillamment incarné Tyrion Lannister. Pour beaucoup (dont l'auteur de ces lignes), le meilleur personnage de la série HBO. D'abord insupportable avec ses provocations à répétition, il a vite pris du galon et s'est imposé dans le cœur des téléspectateurs comme le plus juste des protagonistes.
Le seul à rester droit dans ses bottes et fidèle à sa conduite, dans un monde de trahisons où le pouvoir peut vite faire tourner (et tomber) les têtes. Et qui a même su faire preuve de tendresse dans sa relation avec Sansa Stark (Sophie Turner). Si la fin de la série a déçu, ce n'est pas à cause de Tyrion.
X-MEN - DAYS OF FUTURE PAST (2014)
Avant Marvel, il y avait… Marvel. Déjà. Avant d'incarner Eitri, forgeur de la nouvelle arme de Thor dans Avengers Infinity War, Peter Dinklage était Bolivar Trask dans X-Men - Days of Future Past, retour (réussi) de Bryan Singer dans la franchise qu'il avait contribué à lancer au cinéma en 2000.
Situé dans les années 70, le long métrage se présente comme une suite des trois premiers volets tout en s'inscrivant dans la continuité du prequel X-Men Le Commencement. Et Peter Dinklage interprète Bolivar Trask, homme farouchement opposé aux mutants, qui crée les robots Sentinelles pour les traquer et les vaincre.
Un antagoniste, sur le papier, qui ne se voit pas de la sorte. "Je ne voulais pas jouer le méchant", déclarait l'acteur à Entertainment Weekly en octobre 2013, quelques mois avant la sortie.
"C'est un homme de science. Un homme d'invention. Il voit ce qu'il fait comme quelque chose de bien - il est aveuglé par son ambition et il est plutôt arrogant. Il a lutté toute sa vie pour obtenir du respect et de l'attention."
Le fait d'avoir un acteur de petite taille dans le rôle renforce cette idée, et crée une proximité entre les mutants et lui, à tel point qu'il n'y a finalement pas vraiment de méchant dans cet opus sur fond de voyage dans le temps. Bolivar Trask n'est peut-être pas aussi mémorable qu'espéré, mais la prestation de Peter Dinklage lui apporte nuances et humanité.
MY DINNER WITH HERVÉ (2018)
Peter Dinklage sur HBO, c'est bien évidemment Game of Thrones. Un épisode de la saison 2 d'Entourage où il tient son propre rôle. Et le téléfilm My Dinner with Hervé, centré sur la rencontre entre un journaliste luttant contre son penchant pour l'alcool et l'acteur Hervé Villechaize, au début des années 90.
Soit moins de deux décennies après le James Bond L'Homme au pistolet d'or et le lancement de la série L'Île Fantastique, qui ont contribué à le faire connaître. Dans un registre qui, surtout chez 007, relevait trop souvent du "nain de service", préjugé contre lequel se battait Peter Dinklage dans Ça tourne à Manhattan.
Alternant interview et flashback sur la vie d'Hervé Villechaize, le long métrage bascule de l'humour vers la gravité, lorsque le personnage, truculent, revient sur des moments plus durs de son existence et se voit accusé d'avoir sabordé sa propre carrière par le journaliste Danny Tate. Qui n'a pas existé.
Le réalisateur Sacha Gervasi (Hitchcock) oui, et c'est de sa propre expérience qu'il s'inspire. Car c'est lui qui a vraiment rencontré Hervé Villechaize quelques semaines avant son suicide. Un vécu qui rend ce récit, classique dans sa forme, encore plus sincère et personnel. Et les acteurs, Peter Dinklage et Jamie Dornan en tête, ne sont pas étrangers à la réussite de l'ensemble.
CYRANO (2022)
Après un acteur français (Hervé Villechaize), Peter Dinklage s'attaque à une icône hexagonale. Dans une comédie musicale qui assume totalement ses sentiments, sur des chansons écrites par Bryce et Aaron Dessner, membres du groupe The National. Dans la catégorie des projets risqués, pour ne pas dire kamikazes, Cyrano se pose là.
Mais il fallait bien le talent de formaliste de Joe Wright pour venir à bout de cette entreprise, "ode irrévérencieuse à la vie, une lettre d’amour à l’amour", née sur scène. Avant d'être un film, c'était une pièce (musicale) d'Erica Schmidt, compagne de Peter Dinklage, qui tenait déjà le rôle principal.
C'est tout naturellement qu'il remet le couvert sur grand écran, aux côtés d'Haley Bennett, compagne de Joe Wright qui reprend son rôle de Roxane. Et hérite des scènes les plus déstabilisantes, où le kitsch assumé n'est pas sans faire penser aux clips de Mylène Farmer. Mais la réussite globale du film tient aussi à sa sincérité et sa croyance affichée dans son récit et son sentimentalisme.
Quitte à trébucher pour mieux se relever, dans une séquence sur le front de la guerre absolument déchirante. Dans le rôle principal, Peter Dinklage relève l'énorme défi qui se présentait face à lui en donnant un autre aspect à la marginalité de Cyrano. Et révèle une autre facette de son talent, aujourd'hui récompensé à Deauville.