De quoi ça parle ?
Lázaro et Tristán, jumeaux, font partie d’un programme militaire qui vise à former les meilleurs astronautes de demain. Leur mère a tout sacrifié pour les porter vers cet objectif. Mais leur rêve se brise et la cellule familiale explose lorsque Tristán est contaminé par un résidu toxique qui le transforme physiquement et mentalement…
La pépite cinéma immanquable de l'été
Présenté dans plusieurs festivals de films de genre, dont le Festival de Gérardmer au début de l'année, Tropic sort aujourd'hui dans les salles de cinéma françaises. Drame familial ancré dans le fantastique, ce premier long-métrage d’Édouard Salier est une pépite fantastique à découvrir cet été.
À travers une relation fraternelle puissante, le cinéaste français explore la psyché masculine, faite d'illusions, de traumatismes, d'amours et de violences, dans un univers surnaturel et hors du temps.
Cette fiction étonnante mélange les genres, entre le drame, l'horrifique, le fantastique et le body horror, pour un résultat aussi fascinant de beauté et de poésie que bouleversant d'émotion.
Pour ce film expérimental, appuyé par la force de son grain et l'intensité de sa bande originale (signée SebAstian), Édouard Salier a pu compter sur son expérience de réalisateur de clips musicaux (Justice, Metronomy, Air, Massive Attack), de courts-métrages, mais aussi d'épisodes de séries (Mortel sur Netflix), pour façonner sa patte artistique rafraîchissante, référencée et maîtrisée.
Outre l'importance de la musique dans son art, Édouard Salier a mis un point d'honneur à offrir une esthétique et une image à la hauteur de son récit avec un souci du détail et de réalisme important, d'où l'envie de tourner en 16 mm, comme le réalisateur nous l'a confié en interview au Festival de Gérardmer :
"Déjà, j'adore la pellicule, même si c'est un peu plus compliqué de tourner en pellicule parce que c'est plus cher et qu'il y a plus de contraintes. Mais elle me permet d'avoir une meilleure concentration sur le plateau parce qu'on sait qu'il ne faut pas tourner n'importe quoi et qu'il ne faut pas se tromper."
Hors de question pour le cinéaste de tourner en 4K ou autre format haute définition. "Aujourd'hui, on est en train de chercher une définition parfaite dans l'image, mais je trouve que ça détruit la magie. Tout d'un coup, tu vois toutes les aspérités du make-up, des prothèses, etc et tu n'y crois plus", explique-t-il.
"Je tenais absolument à tourner en 16 mm pour ça aussi, pour avoir une cohérence dans l'image avec cette prothèse qu'il fallait faire accepter au public, tout en faisant passer une émotion. C'est important de garder de la poésie dans l'image.
Et j'aimais bien aussi jouer avec le contraste entre la musique hyper électronique, très digitale, et une image, pour le coup, absolument pas numérique et digitale."
De l'homme au surhomme
Pour la mise en scène de Tropic, qu'il a coécrit avec Mauricio Carrasco (Messe basse), Edouard Salier a tiré son inspiration des grands maîtres de l'horreur et autres cinéastes reconnus, mais il a aussi été influencé par les bandes dessinées et les super-héros :
"Évidemment qu'il y a du David Cronenberg dans mes inspirations, parce que j'ai grandi avec. Il y a aussi du Paul Verhoeven avec Starship Troopers. Ce sont des films qui m'ont fait rêver. Je suis aussi fan de manga ou de comics américains, notamment de Black Hole de Charles Burns ou encore du travail du mangaka Taiyō Matsumoto, qui a fait plusieurs bandes dessinées sur des histoires fraternelles. Ce sont des références inconscientes mais quand elles ressortent, ça paraît évident avec le recul."
Cela est flagrant dans la représentation de la relation fraternelle entre Tristán (Louis Peres) et Lázaro (Pablo Cobo). Mais aussi lors de la transformation physique et mentale de Tristán par la contamination toxique, lorsqu'il devient une sorte de Docteur Jekyll & Mr Hyde ou de Double Face avec ce masque qui cache la moitié de son visage meurtri :
"L'idée du monstre à double face existe depuis les premiers films de genre, même en noir et blanc. C'était un clin d'œil, une référence à ces univers-là mais aussi à Batman dont je suis fan. Et puis aussi, ça permet finalement de laisser la place à Louis d'exprimer ses émotions parce que cela aurait été plus compliqué avec une tête totalement monstrueuse."
Pour créer la prothèse et les effets de maquillage de Tristán, Édouard Salier a fait appel à Franck Limon-Duparcmeur, sculpteur mouleur indépendant spécialisé dans les effets visuels et les maquillages pour le cinéma, avec qui il avait déjà collaboré sur son court-métrage Habana, lauréat du Grand prix à Gérardmer en 2015.
Les références sont également très présentes dans la conception de la matière qui contamine Tristán, entièrement faite en 3D grâce à un studio avec lequel le réalisateur travaille depuis des années :
"C'est une séquence qui est plus complexe à faire pour que ça fonctionne, pour qu'on y croie. Encore une fois, cette matière verte fluo est une référence à des films de série Z, et c'est complètement assumé. J'espère qu'il y a plein de spectateurs qui vont se raccrocher à ces clins d’œil et ces petites références qui me touchent."
Le challenge de la gémellité
Louis Peres et Pablo Cobo incarnent ces frères jumeaux inséparables et fusionnels dont la relation va être totalement bouleversée par la tragédie qui va mener à une inversion des rapports de force et de domination.
Au-delà des traits physiques semblables, les deux comédiens profitent d'une alchimie sincère pour nous offrir un jeu authentique et émouvant.
Trouver ces deux héros a été un véritable défi physique pour Édouard Salier, d'autant qu'il a fait le pari de ne pas choisir de véritables jumeaux :
"On a vraiment galéré. Ce n'est pas si simple en France de trouver deux garçons extrêmement physiques. J'avais trouvé Pablo que j'aimais beaucoup, mais je ne trouvais pas son double. C'est une amie qui m'a présenté Louis, qui était en vacances, et quand il est arrivé face à moi, c'était une évidence.
Il collait tout de suite au personnage au début du film qui est solaire, un grand frère qui s'occupe de la famille, qui est un moteur au sein du cocon familial explosé. Ça a matché naturellement avec Pablo qui est devenu le petit frère un peu plus dans l'ombre, plus fragile. Et ensuite, ils se sont préparés physiquement, avec des cours d'apnée pour les tournages en piscine et dans le lac."
Après Tropic au cinéma, vous pourrez retrouver la patte d'Edouard Salier dans l'une des prochaines créations originales CANAL+, intitulée Les Sentinelles et adaptée des romans graphiques du même nom.
Heureux hasard, le réalisateur y dirige une nouvelle fois Louis Peres - encore dans un rôle de transformation fantastique - qui incarne un soldat de la Première Guerre mondiale à qui l'armée française va inoculer un sérum pour le rendre surhumain afin de jouer un rôle crucial dans ce combat terrifiant.
Propos recueillis par Mégane Choquet le 28 janvier 2023 au Festival de Gérardmer.
Le film Tropic est actuellement au cinéma.