La sortie de "Mission : Impossible - Dead Reckoning Partie 1" approche à grands pas. Enfin, après de nombreux reports dû au COVID. Pour patienter jusqu'au retour d'Ethan Hunt au cinéma, nous vous proposons de revenir sur les opus précédents, du style de la mise en scène aux thèmes, en passant par les moments marquants.
Une session de piqûres de rappel qui débute avec le tout premier épisode, passionnant sur le plan théorique et où Tom Cruise a commencé à apposer sa patte sur la franchise naissante - ATTENTION SPOILERS !!!
Au milieu des années 90, Tom Cruise veut frapper fort avec son premier film en tant que producteur. Et s'offrir une belle franchise pour lui tout seul. Avec sa complice d'alors, Paula Wagner, il jette son dévolu sur l'adaptation cinéma de Mission : Impossible et ajoute, au passage, une ligne prestigieuse de plus sur son CV, en confiant les rênes à Brian De Palma.
Ce qui, à l'époque, relevait du pari puisque le cinéaste venait d'enchaîner plusieurs échecs consécutifs au box-office et n'avait plus connu de vrai succès depuis Les Incorruptibles, également tiré d'un show télévisé. Marqué par un tournage que l'on dit chaotique (la légende évoque un scénario pas terminé au moment du premier clap et de fréquentes prises de bec entre le réalisateur et sa star), le long métrage sort sur les écrans américains le 22 mai 1996 et ne met pas longtemps à séduire.
Avec 457,7 millions de dollars de recettes dans le monde, il signe le troisième plus gros score de l'année, et permet à son auteur de renouer avec les sommets du box-office grâce à un film qui lui ressemble.
Ce qui deviendra par la suite la marque de fabrique de la saga, en changeant de metteur en scène à chaque épisode, pour permettre à chacun des heureux élus d'imprimer sa patte, avec la garantie que le nom de Tom Cruise et la marque Mission : Impossible attirent les spectateurs dans les salles obscures.
C'est donc Brian De Palma qui ouvre le bal avec un projet sur-mesure, une histoire d'espionnage et d'agents doubles qui lui permet d'aborder deux de ses thèmes de prédilection : le voyeurisme et la manipulation, qu'il partage avec Alfred Hitchcock, son maître absolu.
DE PALMA SHOW
Des motifs visibles dès la scène d'ouverture aux allures de mise en abyme. Et qui, comme ce sera le cas dans les opus suivants, donne le ton : un homme observe, depuis un écran, l'opération en cours dans la chambre d'hôtel adjacente. Laquelle se révèle être un décor monté de toutes pièces et le théâtre de l'opération menée par Ethan Hunt, qui se démasque au moment de revenir dans le monde réel.
Comme son idole l'avait fait avec Fenêtre sur cour, De Palma utilise le genre et les codes du thriller pour mettre en scène un film qui parle de cinéma, où le choix des images et leur agencement peuvent s'avérer aussi dangereux qu'une arme.
Alors que chaque personnage tente de doubler l'autre, le cinéaste nous mène lui aussi en bateau grâce à Jim Phelps (Jon Voight) puis Ethan Hunt, ses incarnations dans le film. Caché derrière ses écrans, le premier met son scénario diabolique en application en faisant tourner l'opération à Prague au bain de sang lorsqu'il fait tomber, un à un, ses propres agents, qu'il surveille tel un réalisateur qui assure un direct.
Avant de mettre en scène sa propre mort avec des images bien choisies, dont nous découvrirons le making-of plus tard. Contraint de prendre les choses en main pour blanchir son nom alors que tout l'accuse, le héros doit ainsi devenir le metteur en scène de l'histoire.
"Vous ne m'avez encore jamais vu quand je m'énerve !"
Il recrute alors des agents, désavoués comme lui, pour mettre sur pied une nouvelle équipe à qui il expose son plan de braquage du QG de la CIA. Scène qui deviendra instantanément culte et qui nous est teasée pendant l'explication du modus operandi, introduisant ainsi les flash forwards qui deviendront l'un des codes de la saga sur grand écran.
Fort de son succès et du fait d'avoir coupé le souffle du public pendant de longues minutes, dans l'impressionnante séquence, toute en apesanteur, du QG de la CIA, Ethan poursuit son numéro à grands renforts de tours de magie (la disquette échangée au nez et à la barbe de Krieger, joué par Jean Reno). Et prend définitivement l'ascendant sur Phelps lorsqu'il s'empare lui-même du montage.
Alors que son mentor revenu des morts lui donne sa version des faits, c'est la vérité que choisit de nous montrer Brian De Palma, en même temps qu'elle se fait de plus en plus claire dans l'esprit de son héros. Ethan ira même jusqu'à littéralement devenir Jim, grâce à un jeu de masques, pour confondre Claire (Emmanuelle Béart) dans un tour de passe-passe aux accents oedipiens, où il est question de devenir (puis de tuer) son père adoptif, après avoir été séduit par sa mère, adoptive elle aussi.
Des parents de substitution qui meurent dans le tunnel sous la Manche. Au cours d'un final spectaculaire mais à la limite du surréalisme, qui voit De Palma se plier aux règles du blockbuster estival et laisser de côté ses obsessions, explorées à grands renforts de gros plans inquiétants (pendant la confrontation entre Hunt et Kittridge au restaurant de Prague notamment) et décadrages qui accentuent la paranoïa dont le récit est imprégné.
Un chaos qui provient notamment de la situation géopolitique de l'époque. Comme Goldeneye sorti un an avant lui, Mission : Impossible nous plonge dans un monde encore marqué par la chute du bloc soviétique, qui a rebattu les cartes et où la suprématie américaine dérange plus qu'elle ne fait figure de solution.
Il n'est alors pas étonnant de voir débuter en Ukraine puis République Tchèque un film grâce auquel Brian De Palma, caché derrière l'aura de sa star, donne un joyeux coup de pied dans la fourmillière hollywoodienne. Sans laisser de côté les codes de la franchise hérités de la série originale (dont les masques), il signe un film violent, politique et moins grand public qu'on ne pourrait le penser, surtout lorsqu'il glisse vers l'horreur lors de la séquence à Prague.
MISSION ACCOMPLIE
Brillant et complexe, il offre à Tom Cruise l'opportunité de faire sienne la marque en transformant Jim Phelps, héros du petit écran, en traître de l'histoire. Moins de deux heures après sa première apparition, masqué comme un acteur auquel on fait jouer un rôle, son Ethan Hunt a été réhabilité et devient le leader de la franchise.
Ce que la dernière scène souligne en le mettant dans la même situation que son patron au début de l'histoire, à qui un film était proposé avec insistance par une hôtesse de l'air. Il n'est pas encore le surhomme qui escalade des falaises à mains nues, mais ce sont désormais par lui que passent les ordres de mission, scénarios dont il devra lui-même assurer la mise en scène.
Ou trouver les hommes pour le faire. Bien aidé par le succès de sa première sortie en tant que producteur, il peut intervenir en amont des projets et mettre les personnes qu'il souhaite aux postes requis.
Alors que la saga Mission : Impossible devient officiellement un véhicule pour la superstar qu'il est, il se trouve en mesure d'intervenir en coulisses pour produire des projets qui parleront autant de lui et de sa persona qu'ils raconteront une histoire.
Prochain épisode : quand Tom Cruise faisait de la moto sans les pieds