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    Benjamin Millepied : après avoir fait danser Natalie Portman dans Black Swan, il réalise son premier film avec les stars de Scream et Aftersun
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Adaptation moderne du célèbre opéra de Georges Bizet, "Carmen" marque les débuts de Benjamin Millepied derrière la caméra. Et il revient avec nous sur cette expérience dans laquelle il dirige Paul Mescal et Melissa Barrera.

    Benjamin Millepied réalisateur : première ! Si son travail en tant que chorégraphe n'est plus à présenter, le Français fait aujourd'hui le grand saut au cinéma. Et avec un projet des plus ambitieux puisqu'il adapte et modernise Carmen, célèbre opéra de Georges Bizet dont il transpose l'intrigue de l'Espagne à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

    Entre fuite en avant et histoire d'amour, le long métrage fait sans surprise la part belle à la danse, dans des séquences fascinantes et hypnotisantes, qui nous font naviguer entre rêve et réalité. Et c'est à Paris que le chorégraphe et néo-réalisateur nous parle de ce baptême du feu dans lequel il dirige Melissa Barrera (Scream VI) et Paul Mescal (Aftersun).

    Carmen
    Carmen
    Sortie : 14 juin 2023 | 1h 56min
    De Benjamin Millepied
    Avec Paul Mescal, Melissa Barrera, Rossy de Palma
    Presse
    2,5
    Spectateurs
    3,1
    louer ou acheter

    AlloCiné : D'où vient cette fascination pour l'histoire de Carmen, et cette envie d'en faire votre premier long métrage ?

    Benjamin Millepied : Ce qui est intéressant, c'est qu'en parlant des films qui m'ont marqué quand j'étais petit, ce sont beaucop d'œuvres qui n'étaient pas appropriées pour moi.

    Parce que j'avais 7 ans quand j'ai découvert Carmen : à l'opéra, la version de Francesco Rosi [en 1984] qui était dans un décor réaliste. J'ai aussi vu le film de Carlos Saura [sorti en 1983, ndlr]. Puis du grand cinéma américain qui était vertigineux pour moi à mon âge.

    Mais Carmen est restée avec moi et, quand je travaillais sur West Side Story et que j'ai commencé à imaginer réaliser un long métrage, je me suis toujours dit que ce serait peut-être intéressant de créer ma propre Carmen.

    De m'appuyer sur une tragédie classique pour une première œuvre. Des idées que j'avais, c'était celle qui me semblait être la plus pertinente, puis j'ai trouvé un producteur qui avait envie de faire le film avec moi.

    Il a fallu combien de temps pour que le projet se concrétise ?

    Ça a pris plusieurs années. Environ quatre ans. Mais j'ai travaillé à mon rythme aussi, je n'étais pas pressé. J'ai malgré tout été à cours de temps car j'ai eu beaucoup de mal avec l'écriture du film. Je voulais qu'il soit non-conventionnel, avec de la musique et de la danse, mais sans tomber dans les clichés ni être trop fantaisiste.

    Je n'arrivais pas à trouver les bons auteurs. Peut-être même à m'exprimer, à exprimer ce que je voulais. Donc le film a pris du temps.

    Jusqu'à la fin, j'ai voulu me débarrasser des clichés, des stéréotypes pour aller à l'essentiel de l'histoire. De ce que j'avais envie de raconter. De m'approprier le film.

    D'où la présence d'autant de scénaristes au générique.

    Oui. Mais Alexandre [Dinelaris] et Loïc [Barrère] ont participé à la dernière version, et Loïc avait suivi le projet du début à la fin. Mais j'ai eu des égarements, je ne voulais pas d'un scénariste qui apporte quelque chose de plus conventionnel, superficiel.

    Et même jusqu'à la fin, j'ai voulu me débarrasser des clichés, des stéréotypes pour aller à l'essentiel de l'histoire. De ce que j'avais envie de raconter. De m'approprier le film.

    On retient beaucoup du film son économie de mots et le fait que beaucoup de choses passent par les images, la danse et les regards. Est-ce qu'il s'est beaucoup construit au montage, en termes de structure et même d'ambiance entre rêve et réalité ?

    Absolument, oui. Le film s'est fait au montage. On a beaucoup travaillé là-dessus et avec l'apport du son et de la musique qui ont offert de l'intensité. Et de la cohésion, chose vraiment importante dans un film qui navigue entre le réalisme et le surréalisme, et même le rêve, avec un aspect mystique presque.

    Cet aspect que l'on ressent dans l'usage des chœurs également. Aviez-vous cette idée dès le début ?

    C'est venu plus tard, mais on avait cette envie de chœurs. Je l'avais rapidement exprimé à Nicholas [Britell, compositeur de la bande-originale], en lui faisant écouter des chœurs de voix bulgares. Et on en a finalement utilisé en se servant du livret de Bizet. C'est ce qu'on a gardé de plus authentique. Les chœurs expriment des phrases du livret de Bizet qui apportent un regard sur les scènes qu'on voit.

    Pathé Distribution
    Benjamin Millepied

    Vous avez dit vouloir créer "votre propre Carmen" : est-ce la raison pour laquelle vous avez délocalisé l'histoire aux États-Unis, et que le récit se déroule de nos jours ?

    C'est venu dans le processus créatif. Je voulais trouver un endroit qui me parlait, qui était en lien direct avec ma vie et ce qui m'interpellait, me saisissait. Ces histoires d'immigration, quand on vit à Los Angeles, on y est sensible. Et j'adore ce décor de l'Amérique de l'Ouest. Il fallait que cela fasse partie de mon intérêt.

    Mais vous avez tourné "Carmen" en Australie.

    Oui. Je voulais bien sûr tourner là où le film se déroulait. Je rêvais de Nouveau-Mexique, de Mexique et de Los Angeles, mais on n'avait pas les moyens pour tourner pendant autant de jours sur place.

    On a alors pensé tout tourner au Mexique, mais même là nous avions encore 22 ou 23 jours de prévus. Et puis il y a eu le Covid. Donc on a décidé d'aller tourner en Australie, qui a une association avec la France.

    Je me suis ainsi retrouvé avec plus de jours de tournage, et j'ai pu aller plus loin avec l'argent qu'on avait. Et pour le coup, ça c'était super. C'était super car j'avais ce paysage authentique et, en même temps, le film se prêtait à pousser la réalité et créer un univers d'une certaine intensité, pas totalement réaliste. Et l'Australie s'y prêtait.

    Ces histoires d'immigration, quand on vit à Los Angeles, on y est sensible.

    Avez-vous songé à travailler avec un metteur en scène, comme Gene Kelly avec Stanley Donen sur "Chantons sous la pluie" ? À être un peu plus focalisé sur les chorégraphies ?

    Non, ce n'était vraiment pas l'idée. L'idée était que je réalise, que je me confronte à la réalisation, pour apprendre tout ce que j'avais à y apprendre. D'où le désir de faire un autre film. Maintenant j'ai un rapport plus informé au scénario, à sa conception, à son écriture.

    On imagine, vu votre travail auparavant, que les scènes de dialogue ont davantage été un défi pour vous que celles de danse.

    Non, c'était plus réaliser que l'idée, avant tout, n'était pas juste de remanier une histoire mais de trouver ce qui me parlait vraiment, pourquoi j'étais intéressé par ce projet, ce que j'ai découvert petit à petit, et qui est très clair quand je vois le film, ce que j'y raconte et pourquoi ce sont des choses personnelles. J'ai tiré le film vers la danse, parce qu'il est un peu comme un ballet.

    Il y a un aspect onirique où on laisse beaucoup de place au spectateur pour qu'il en tire ses propres conclusions. Et ça, c'est vraiment ce qu'est la danse. Le film est vraiment entre le spectacle de danse et, malgré tout, une narration. C'est pour ça qu'on ne peut pas le classer vraiment.

    Beaucoup de compositeurs sont crédités au générique, mais est-ce que toutes les musiques étaient là avant le tournage ? Et notamment la partie de Nicholas Britell ?

    Lui est arrivé au tout début. Ses musiques ont vraiment inspiré le langage du film. L'univers a été créé dans mon imaginaire par la musique, comme ça se fait avec mes ballets. Et, bien sûr, la bande sonore a été terminée une fois le film fini.

    Mais il s'agit avant tout d'un collaboration avec Nicholas, et du désir de lui laisser l'espace de s'exprimer sur 1h40 sans découper, sans casser sa musique. Lui laisser un grand espace d'expression.

    Pathé Distribution
    Melissa Barrera et Paul Mescal dans "Carmen"

    Quel a été pour vous le critère principal dans le choix des acteurs : les aptitudes pour la danse ou le jeu ?

    C'était un tout. Pouvoir incarner les personnages. En ce qui concerne Melissa, c'était de pouvoir chanter, danser avec conviction et incarner un personnage légendaire. Et pour lui, apporter ce réalisme d'un soldat qui est un fantôme, de retour de guerre, qui a une expérience de la vie qui n'est plus la même, mais qui va lui aussi s'exprimer dans la danse, de manière plus brute. Je ne voulais pas d'un Marine qui, d'un seul coup, se met à faire des mouvements lyriques et trop raffinés.

    Il leur a fallu combien de temps de préparation ?

    On va dire trois semaines avant le tournage pour lui, et plus pour elle.

    Y a-t-il des films de danse qui vous ont particulièrement marqué ? Et peut-être même influencé pour celui-ci ?

    Il y a une scène du Salon de musique de Satyajit Ray qui m'a influencé. Black Swan aussi car on est dans une caméra qui est très proche de la danse. Peut-être aussi le Carmen de Carlos Saura.

    Twentieth Century Fox France
    Benjamin Millepied et Natalie Portman dans Black Swan

    Est-ce que c'est votre travail sur "Black Swan" qui a eu une incidence sur votre envie de passer à la réalisation ?

    Une incidence sur la manière de filmer la danse surtout. C'est en répétant avec Natalie [Portman] que je me suis amusé à faire des mouvements de caméra pour rendre sa danse plus crédible.

    C'est comme ça que j'ai découvert que j'avais ce moyen de danser avec la caméra, mais dans un but précis. De mettre en valeur la danse, rendre le mouvement plus crédible, plus fluide, plus important.

    Vous avez mentionné une envie de refaire un film : savez-vous vers quoi vous aimeriez aller ?

    J'ai envie de faire un film où il n'y a pas de danse. Plus écrit et qui se passerait à Paris la nuit. Je pense que ce film, je vais le faire avec beaucoup de précision. Parce que c'est intéressant, aussi, de filmer Paris d'une autre manière. On a tellement l'habitude de la voir, et j'ai envie d'amener cette image forte, posée, mais dans un langage très expressif quand même, avec le corps.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 5 juin 2023

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