En clôture de la Semaine de la Critique, nous avons découvert une pépite. Deuxième long métrage de Erwan Le Duc (après Perdrix qui avait joliment désarçonné la Quinzaine des Réalisateurs, aujourd'hui Quinzaine des Cinéastes), La Fille de son père met en scène une relation paternelle et filiale pleine de poésie et de liberté.
L'histoire d'Etienne qui a vingt ans à peine lorsqu'il tombe amoureux de Valérie, et guère plus lorsque naît leur fille Rosa. Le jour où Valérie les abandonne, il choisit de ne pas en faire un drame. Etienne et Rosa se construisent une vie heureuse. Seize ans plus tard, alors que la jeune fille doit partir étudier et qu’il faut se séparer pour chacun vivre sa vie, le passé ressurgit.
Dans la peau du père résilient mais que l'on devine encore abîmé, Nahuel Perez Biscayart (la révélation de 120 Battements par Minute et d'Au Revoir là-haut ) est magique, tel un Buster Keaton frêle, burlesque, décalé, écoutant les yeux écarquillés son entourage tenter de définir ce qu'il ressent ou devrait ressentir.
A ses côtés, toujours aussi attachante, Céleste Brunnquell (révélée dans Les Eblouis et plus connue pour En Thérapie) est plus posée mais tout aussi drôle et surtout lumineuse, en jeune fille attachée à son père et à leur singulier rapport d'égalité. Parce qu'ils ont grandi ensemble en se détachant du manque et du besoin des autres, ces deux-là sont fusionnels.
Un joli jeu de flash back nous fait revivre avec délicatesse la naissance de cette relation inconditionnelle, pleine de tendresse. Au moment où l'enfant doit quitter le nid, la question de l'émancipation vue comme nécessaire fait revivre la douloureuse séparation originelle subie. Et les tourments qui vont avec.
"Ce rapport de confiance totale m'a beaucoup émue, ce travail de transmission de ce père vers sa fille. C'est une histoire d'amour que je trouve magnifique avec un vrai rapport d'égalité et cette ressemblance physique où tous deux sont juvéniles. On ne sait pas trop où ils en sont dans leur parentalité et comment ils construisent tous deux leur vie à partir de leur relation", analyse Céleste Brunnquell lors de notre rencontre sur la Croisette. Touchée par cette histoire à "des endroits très intimes", la jeune actrice nous confie avoir été entièrement attirée par la patte de son metteur en scène, son univers original et sa proposition sensible.
Sensible et nuancée. Car même si la toile de fond de son film a à voir avec la perte d'un amour et d'une mère, Erwan Le Duc reste sur la même longueur d'onde que son héros : il ne tient pas à donner trop de place au drame au sein de son sujet qu'il traite avec sérieux mais qu'il équilibre avec pléthore de scènes comiques magnifiques, nourries de répliques hilarantes et brillantes qui revisitent le sexe, l'amour et la mort.
Mentions spéciales aux seconds rôles impayables, du petit ami poète épique (Mohammed Louridi), à l'ami agent immobilier désabusé, en passant par la maire de la ville en crise (géniale Noémie Lvovsky) et l'amoureuse saine et sereine (émouvante Maud Wyler).
A ce propos, "il n'y a pas d'amour perdu" finit-on par comprendre dans ce charmant opus non dénué d'espoir et qui, en matière d'émotions suscitées, ose jusqu'au bout le contrepied en même temps que le savant mélange de romantisme décalé, de poésie réaliste et de drame drôle. A souhait.
Découvrez le premier long métrage de Erwan Le Duc :