Le dimanche 26 février, le réalisateur sud-coréen Bong Joon-Ho était invité au Grand Rex afin de se livrer à l'exercice de la masterclass. Organisé par The Jokers Films, l'événement a rassemblé de très nombreux fans du cinéaste oscarisé pour Parasite.
Tout d'abord, le réalisateur a salué le public avant la projection de The Host en version remasterisée 4K. Le film ressort en salles le 8 mars. Accueilli telle une rock star, Bong Joon-Ho a fendu la foule sous un tonnerre d'applaudissements.
Sur scène, Thierry Frémaux, président du Festival de Cannes, reçoit le réalisateur. "En revoyant The Host, on a l'impression qu'il a été fait l'année dernière", lui fait-il remarquer. "Ah oui ?", répond un Bong Joon-Ho facétieux, suscitant l'hilarité de la salle.
"J'ai regardé les 20 dernières minutes dans la salle, la qualité est tellement nette que j'avais l'impression que le film date d'il n'y a pas si longtemps", indique le cinéaste, saluant le travail de restauration de The Host.
Bong Joon-Ho, qui a un regard très critique sur ses œuvres, précise qu'il préfère ne pas revoir ses films car il voit toujours des points d'amélioration. Il aurait d'ailleurs aimé retoucher The Host mais Thierry Frémaux l'arrête tout de suite : "Pour moi, le film est parfait, pour vous aussi ?", demande-t-il au public, qui scande un grand "OUI !".
En 2006, à l'époque de sa sortie, The Host était un très gros budget pour le cinéma coréen. "Toutefois, comparé à un gros film de monstre américain, on avait un budget très très limité, surtout pour les effets spéciaux", se souvient Bong Joon-Ho.
L'artiste rappelle ensuite que le film a nécessité 115 plans du monstre en images de synthèse, ce qui coûtait très cher. "On comptait le nombre de plans pour essayer de réduire le budget. On a beaucoup réfléchi et fait jouer notre créativité pour pouvoir réduire les frais. On avait une énorme pression là-dessus."
On a beaucoup réfléchi et fait jouer notre créativité pour pouvoir réduire les frais.
Thierry Frémaux fait ensuite remarquer que The Host brasse de nombreux thèmes : "C'est un film de genre, un film grand public, un film d'auteur, un film de monstre, un film de famille, un film sociologique, un film politique, c'était tout ça dès le départ ?"
Au début, mon idée était juste de faire un film de monstre.
"Au début, mon idée était juste de faire un film de monstre. Finalement, en réfléchissant aux personnages, je me suis dit qu'il pourrait y avoir des scientifiques, des militaires mais on voyait déjà beaucoup ça dans les autres films du genre", explique Bong Joon-Ho.
UNE FAMILLE ET DES MONSTRES
Par conséquent, le réalisateur décide de prendre le contre-pied de cela "en faisant apparaître un père un peu bêbête et une famille un peu loufoque. Je pensais que ça allait être assez marrant et je me suis concentré sur cette famille."
"Finalement, c'est en partant de cette famille que j'ai commencé à développer la trame de l'histoire avec un monstre, une famille et une satire politique. Le gouvernement, la société, les institutions n'aident pas ces familles car ce sont des petites gens, des gens qui sont faibles et que le système n'aide pas, il leur met même des bâtons dans les roues", analyse le metteur en scène.
"La société coréenne va très vite, il y a énormément de choses qui se passent dans ce pays ; je dirais qu'en une semaine, il se passe plus de choses en Corée que ce qui se passe en Islande en 10 ans", plaisante le cinéaste.
Le gouvernement, la société, les institutions n'aident pas ces familles car ce sont des petites gens, des gens qui sont faibles et que le système n'aide pas, il leur met même des bâtons dans les roues.
Thierry Frémaux revient ensuite sur la manière dont Bong Joon-Ho dépeint les américains dans le film, lui demandant s'il était vrai qu'à l'époque, il avait peur que le film soit traité d'anti-américanisme.
"Dans l'ouverture de The Host, on voit un scientifique américain commander à un coréen de déverser des produits chimiques dans un évier, malgré les risques de pollution. Il s'agit d'un fait réel qui s'est passé en 2000 en Corée", explique Bong Joon-Ho.
"À l'époque, ça avait créé une énorme polémique, les médias et les ONG s'étaient emballés. C'est une chose qui a attisé ma curiosité. Je trouvais ça marrant d'utiliser un fait réel à la fois politique et sociétal. Ça pouvait être un bon point de départ d'un film de genre. C'est aussi une sorte de convention qu'on voit dans les films de genre, expliquer d'où vient le monstre. Je trouvais ça intéressant."
UNE SATIRE DES ETATS-UNIS
Le réalisateur explique que cette satire des USA est venue assez naturellement. "À l'époque, les Etats-Unis étaient en guerre avec l'Irak, ils parlaient d'armes de destruction massive. Finalement, le gouvernement s'était excusé, il avait reconnu que c'était une fausse information. Ça a aussi inspiré la fin du film où les autorités reconnaissent leur erreur sur le virus", précise Bong Joon-Ho.
"Mais je n'avais pas vraiment peur, je savais que faire cette satire des USA n'allait pas être un handicap. Il y avait d'ailleurs des américains dans mon équipe, notamment sur les effets spéciaux. Il y a aussi des films américains qui dénoncent ce système, ce n'était donc pas un problème."
Notre référence en être humain était l'acteur Steve Buscemi dans Fargo.
Bong Joon-Ho fait ensuite une révélation étonnante sur le design de la créature monstrueuse du film, qui provoque l'hilarité du public.
STEVE BUSCEMI A INSPIRÉ LE MONSTRE DE THE HOST
"Notre référence en être humain était l'acteur Steve Buscemi dans Fargo. À un moment, il reçoit une balle dans la joue et il souffre énormément. Ça l'énerve, il est sur les nerfs, et je voulais ça pour la créature. Je souhaitais qu'elle ait ce genre de caractère", dévoile le réalisateur.
Thierry Frémaux évoque par la suite la collaboration entre le cinéaste et Netflix sur Okja, sélectionné en Compétition à Cannes en 2017, soulevant une polémique qui a fait couler beaucoup d'encre.
NETFLIX AND (NOT) CHILL ?
"Tout à l'heure, je vous disais que dans The Host, on avait 115 plans où apparaissaient la créature, demandant un budget conséquent. Quand j'ai pris le scénario de Okja, j'ai essayé de réduire au maximum les plans avec le gentil monstre. Mais on avait en tout 350 plans avec ce super-cochon et ça demandait un budget vraiment énorme que le cinéma coréen ne pouvait pas se permettre", révèle le metteur en scène.
Naturellement, Bong Joon-Ho s'est donc tourné vers les Etats-Unis et l'Europe pour trouver des financements pour Okja. "À chaque fois, mon scénario était rejeté. "Vous allez vraiment montrer un abattoir ?", me disait-on par exemple. On me trouvait 1000 excuses pour refuser le film. Finalement, Netflix a été la seule compagnie qui a accepté de produire le film", souligne le sud-coréen.
"Je sais qu'il y a eu un énorme scandale sur le fait que les films devaient être montrés en salles ; malgré tout, je suis très reconnaissant envers Netflix car c'est grâce à eux que j'ai pu faire ce film", précise-t-il.
Netflix a été la seule compagnie qui a accepté de produire Okja.
Thierry Frémaux rappelle ensuite qu'il est important de voir les films au cinéma, au-delà de Netflix ou pas Netflix. "Et Okja, il faut le voir sur grand écran aussi", scande-t-il, applaudi par le public du Grand Rex.
"Si on parle de l'histoire d'Okja sur Netflix, on est là pour la nuit", plaisante Bong Joon-Ho. "Mais il y a une chose que je ne peux pas réfuter : un film, il faut le voir en salles sur un grand écran", martèle l'artiste, suivi d'un tonnerre d'applaudissements.
"Toutefois, depuis Okja, Netflix est devenu beaucoup plus flexible. On a eu les exemples de Roma, The Irishman ou Mank. La plateforme autorise parfois que les films sortent au cinéma avant d'atterrir sur la plateforme." Le cinéaste plaisante ensuite sur Quentin Tarantino, qui a gardé une copie 35mm d'Okja pour la diffusion dans son cinéma de Los Angeles.
LE TRIOMPHE DE PARASITE
À la fin de la masterclass, Bong Joon-Ho est revenu sur le succès de Parasite, Palme d'Or à Cannes et Oscar du Meilleur film. "Vous savez, je ne me sens jamais sûr de moi, j'ai toujours un peu peur de mal faire et je comble ça en travaillant encore plus. En me plongeant dans le travail, ça pourra peut-être camoufler cette peur et cette instabilité que je ressens", explique le réalisateur.
"En terminant Parasite, j'avais le sentiment que j'avais donné 100% de moi-même. Mais je n'était pas du tout sûr que le public aimerait le film. Mais j'étais certain d'avoir tout donné et tout ce que je voulais faire, j'ai pu le mettre dans le long-métrage."
NOUVEAU PROJET
Le cinéaste a terminé la masterclass en nous confirmant qu'il travaillait sur son prochain film, Mickey 17, avec Robert Pattinson dans le rôle d'un individu envoyé coloniser une planète gelée.
À chaque fois qu'il meurt, ses souvenirs sont implantés dans un nouveau corps et sa mission reprend. Après être mort à six reprises, Mickey 17 commence à comprendre le but réel de sa mission. Le film sortira en salles le 27 mars 2024.