Dans la volumineuse encyclopédie des productions cinématographiques mondiales, ce ne sont pas les œuvres choc qui manquent. Si nombre d'entre elles ont abondamment versé dans le voyeurisme malsain, l'ultra violence et le sadisme gratuit, surfant parfois sans vergogne sur des tendances du moment pourvu qu'il y ait quelques billets à la clé, d'autres productions plus ou moins récentes se sont heureusement chargées de remettre certaines pendules à l'heure. C'est le cas du sidérant Funny Games, choc cinématographique sorti il y a tout juste 25 ans.
En sélection officielle à Cannes en 1997, c'est peu dire que la projection de Funny Games de Michael Haneke fut une des plus mouvementées de l'histoire du festival, pourtant habitué aux polémiques, selon les aveux de Gilles Jacob.
Le film suscita même une haine viscérale de Nani Moretti, membre du Jury présidé cette année-là par Isabelle Adjani, au point de lâcher qu'il claquerait la porte du Jury si le film choc d'Haneke recevait le moindre prix.
Il faut dire que si le cinéaste autrichien s'était jusque-là fait connaître avec des films déjà glaçants et fascinants, comme Benny's Video, il poussait avec Funny Games le malaise jusqu'à un point d'incandescence jamais atteint.
"Ce sera froid, précis et implacable. Vous voulez essayer ?"
Armé d'une mise en scène à la fois sobre et implacable, brisant régulièrement le quatrième mur, Haneke ne laisse aucun répit au spectateur dans cette histoire de famille séquestrée et torturée par un duo de jeunes sadiques. Tétanisé par le spectacle abjecte qui se déroule sous ses yeux, le spectateur est prisonnier de son désir de voyeurisme et son goût pour la violence.
"J'étais frustré de cette façon qu'ont les Médias de traiter en général la violence, d'une manière consommable. Donc je voulais faire un film qui corrige cette image. Je trouve dangereux cette banalisation de la violence. je voulais que les spectateurs se rendent compte de ce qu'ils regardent" commentait Haneke, dans un tacle évident à Hollywood et sa manière de traiter justement cette violence, complètement déresponsabilisée, souvent gratuite, et même cool.
"Dans ce jeu, le pion, c’est… vous, le spectateur. Votre sadisme voyeur, vos réactions, votre peur jouissive. Haneke vous prend au mot : vous aimez le spectacle du meurtre, de la violence, de la terreur ? (Ne dites pas non, pensez à tous les morts que vous avez vus sur un écran au cours de votre vie.) Eh bien, vous allez en avoir –jusqu’à la limite du supportable. Personne ne sera épargné, ni l’enfant, ni le chien" écrivait Gilles Verdiani, critique cinéma dans Première, en février 1998.
Ajoutant : "Vous n’aurez aucune explication psychologique (trauma, vengeance, folie) pour vous rassurer. Même pas un mobile. Ça ne sera ni stylisé pour faire beau, ni détourné pour faire drôle, ni éloigné pour faire moins mal. Ce sera froid, précis et implacable. Vous voulez essayer ?" 25 ans après sa sortie, l'impact laissé par le film reste toujours aussi foudroyant. Et réservé à un public très averti.