Palerme, 1860. Don Fabrizio, prince de Salina, règne en maître sur sa famille et sur ses gens. Alors que les troupes de volontaires républicains menés par Garibaldi viennent de débarquer en Sicile, Tancrède, son neveu préféré, choisit de rallier leur cause, moins par idéalisme que par calcul.
Dans sa villégiature de Donnafugata, où le patriarche est parti se réfugier avec les siens, le jeune homme tombe amoureux de la belle Angelica, fille du maire roturier. Malgré la mésalliance, Salina consent au mariage : don Calogero est riche et le prince sait que son temps est passé...
Sommet de l'art de Luchino Visconti, sublime fresque d'une époque finissante portée par Alain Delon, Claudia Cardinale et Burt Lancaster, Le Guépard a beau être multi rediffusé à la TV, en l'occurrence ce soir sur Arte à 20h55, on ne se lasse jamais de le revoir.
"Une tapisserie historique d'une richesse inouïe"
Le chef-d'oeuvre du maître italien est d'ailleurs l'une des oeuvres préférées de Martin Scorsese. "Une tapisserie historique d'une richesse inouïe, méticuleusement composée et filmée en 70 mm. [...] Les paysages, les extraordinaires décors avec leurs objets méticuleusement sélectionnés, les costumes, le cérémonial et les rituels...
Tout est fait pour nous faire appréhender et mesurer profondément le temps qui passe, tandis que le film entier culmine lors d'une séquence de bal durant une heure, où vous pouvez sentir, à travers les yeux du Prince Salina, tout un art de vivre en train de s'estomper et disparaître. [...] Je pourrais évoquer Le Guépard pendant des heures. C'est un film qui est devenu de plus en plus important pour moi au fil des années passées" commentait le cinéaste, en véritable encyclopédie vivante de l'Histoire du cinéma qu'il est.
Burt Lancaster imposé
Pour incarner le prince Salina dans cette fresque de 3h adaptée du roman à succès de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Visconti a en tête le Britannique Laurence Olivier ou le Russe Nikolaï Tcherkassov, mais du côté des producteurs, c'est Burt Lancaster qui l'emporte, au grand dam du cinéaste italien. Si son nom permet au Guépard de se monter financièrement, l'acteur de Vera Cruz et Les Tueurs a l'image d'un "acteur cow-boy, un acteur-gangster" aux yeux du producteur Goffredo Lombardo et de Visconti.
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Le bras de fer entre Lancaster et Visconti
Le Guépard est un challenge de taille pour l'acteur américain : habitué aux polars et aux westerns, le comédien change de registre en incarnant un prince dans ce qui représente la première production européenne de sa carrière. Et Visconti ne va pas lui faciliter la tâche : le cinéaste lui mène la vie dure en espérant le voir renoncer au rôle.
"La première rencontre avec Burt Lancaster pour Le Guépard a été violente" confiait Claudia Cardinale, citée dans l'ouvrage Luchino Visconti cinéaste d'Alain Sanzio et Paul-Louis Thirard. Venu répéter une scène en présence d'un maître de ballet, Lancaster souffrait en effet des genoux et ne parvenait pas à danser. A bout de patience et sans la moindre considération pour l'acteur, Visconti s'isole avec Cardinale dans son appartement privé et lui offre du champagne.
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"On est resté là, peut-être une heure, à boire, à parler, mais pas un mot sur la scène. Après j'ai compris. Burt Lancaster, c'était la star qui arrivait de Hollywood et Luchino voulait, je crois, faire comprendre à Burt qu'il était, lui, Visconti, le seul maître sur le plateau. Et puis les souffrances physiques, ce n'était pas le problème de Luchino, dès que l'on commençait à tourner, on devait oublier tous nos problèmes."
La comédienne ajoutait : "Au bout d'un moment, l'assistant est venu prévenir que Burt voulait parler. Luchino avait simplement dit en quittant la salle : "Quand vous serez prêt, on viendra..." Cela avait été très dur pour Burt, Luchino avait hurlé cette phrase devant des centaines de personnes en costumes. Après, on a repris la danse, et cela a été le début d'une grande amitié entre Visconti et Lancaster."
Amoureux de l'Europe, Lancaster parlait notamment l'italien qu'il avait appris lorsqu'il était basé en Sicile durant la Seconde Guerre mondiale. Son dévouement et sa passion finirent par remporter l'adhésion du cinéaste. Les deux hommes se sont finalement entendus à merveille et le long-métrage reçoit la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1963. Le duo se retrouvera en 1974 pour le huis-clos Violence et Passion, l'avant-dernier long-métrage de Visconti.
