Charlotte Le Bon n’est pas seulement actrice, peintre et sculptrice. Elle est aussi réalisatrice. En 2018, elle mettait en scène son court métrage Judith Hotel - disponible ici - et ouvrait déjà les portes de son univers bien à elle. Quatre ans plus tard, place au film.
Avec Falcon Lake - qu’elle coécrit avec François Choquet -, elle adapte le roman graphique Une sœur de Bastien Vivès. La Québécoise fait de ce projet une affaire personnelle. Elle s’inspire de son vécu et de son rapport à la mort pour donner vie à un récit d’apprentissage pas comme les autres.
Le film suit l’histoire de Bastien (Joseph Engel), un adolescent français qui part en vacances avec ses parents dans une région reculée du Canada. Sur place, il fait la rencontre de Chloé (Sara Montpetit), une jeune fille aux idées morbides et obsédée par un fantôme qui rôde. Marquée par la disparition de son père à l’âge de 10 ans, Charlotte Lebon parvient, avec délicatesse, à réconcilier le spectateur avec l’idée de la mort.
Rencontrée au Festival de Cannes - où le film était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs -, la cinéaste cite Andreï Tarkovski : “La fonction de l'art n'est pas d'imposer des idées ou de servir d'exemple. Elle est de préparer l'homme à sa mort.”
“Je crois qu’inconsciemment c'est ce que j’essaye de faire : apaiser les gens avec cette idée, explique-t-elle. Moi je l'ai vécu avec beaucoup de violence, mais c’est quelque chose qui m’a construit. Le deuil fait partie de ma personne, il ne nous quitte jamais. Je trouve qu'on n'en parle pas beaucoup. C’est quand même le plus grand tabou de l'humanité.”
Loin d’être démoralisant, Falcon Lake est au contraire un film d’une grande luminosité et drôle, notamment grâce à son duo de jeunes acteurs - Joseph Engel et Sara Montpetit, tous les deux irresistibles. Charlotte Le Bon convoque également le rêve avec un décor qui semble déconnecté du monde extérieur.
Pour poser sa caméra, la réalisatrice s’est rendue dans la région des Laurentides, au Québec. “Ce sont des paysages qui m'inspirent depuis toujours, précise-t-elle. Il y a cette ambivalence. C’est une nature très luxuriante, mais aussi très inquiétante. Ces eaux noires par exemple, on ne voit même pas le fond. Même moi, aujourd'hui, alors que je connais ces paysages depuis toujours, j'ai tout le temps une espèce d'inquiétude quand je me baigne. J’avais vraiment envie d’exploiter cela au cinéma.”
Bien qu’il soit parfaitement ancré dans son époque, Falcon Lake n’en reste pas un film aux allures d'une fable intemporelle. Ses personnages eux-mêmes semblent en dehors du temps. Si dans beaucoup de teen movies, la technologie occupe une place importante, Charlotte Le Bon souhaite la reléguer au second plan : “Aujourd’hui, les relations entre adolescents se passent autour des réseaux sociaux, mais ce n'est pas l'adolescence que j'ai connue.”
Récompensée à Deauville, Charlotte Le Bon a également reçu, le 30 novembre dernier, le prestigieux Prix Louis-Delluc du premier film. Une récompense qui souligne la naissance d’une réalisatrice à suivre de près.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, en mai 2022.
Falcon Lake, au cinéma le 7 décembre 2022.