Le magazine américain The Wrap s'est entretenu avec Ali Abbasi, réalisateur de la première saison de la série adaptée du jeu vidéo The Last of Us qui sera diffusée au mois de janvier prochain sur HBO et du thriller Les Nuits de Mashhad, sorti dans nos salles en juillet dernier.
Le journal est revenu sur le long-métrage présenté en Compétition lors du dernier Festival de Cannes et qui a valu à son actrice Zar Amir Ebrahimi, le Prix d'interprétation féminin.
Les Nuits de Mashhad se déroule en Iran, en 2001. Une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.
Le film est inspiré d'une histoire vraie, celle du tueur en série Saeed Hanaei. Ce vétéran de guerre devenu maçon a tué seize femmes entre 2000 et 2001 avant d'être arrêté par les autorités.
Cet homme marié et père de trois enfants ciblait les travailleuses du sexe et les femmes droguées dans la ville de Mashhad. Il a déclaré à la cour qu'il avait commencé cette série de féminicide pour éradiquer la corruption et laver la ville de Mashhad de ses péchés, mais aussi parce que sa femme avait été confondue avec une prostituée.
Le metteur en scène d'origine iranienne a fait le parallèle entre son film et l'intense révolte qui secoue l'Iran depuis la mort de la jeune Mahsa Amini, alors qu'elle était détenue par la police des mœurs pour avoir mal porté son hijab.
"L'ampleur de ce qui se passe en Iran est tellement énorme que j'oublie parfois le film"
Ali Abbasi déclare : "L'ampleur de ce qui se passe en Iran est tellement énorme que j'oublie parfois le film. Depuis que tout cela a commencé, j'ai l'impression que le film fait partie d'une chose plus importante. Et si je peux d'une manière ou d'une autre sensibiliser les gens à ce qui se passe en Iran en parlant de mon film, je le fais.
Inutile de dire que nous ne nous attendions pas à cela, mais je pense que c'est intéressant de voir comment cela a changé le contexte du film.
Ce qui m'intéressait dès le départ était de faire un film noir qui traite de sujets qui touchent la société iranienne. Et je pense qu'une partie de la conversation a changé parce que certaines des mêmes personnes qui pensaient qu'il s'agissait d'un film misogyne car on y voit des femmes se faire tuer, comprennent aujourd'hui mieux le contexte et le message que nous souhaitions faire passer."
Ali Abassi revient ensuite sur la censure dont son film a fait l'objet en Iran et les menaces de mort reçues par sa comédienne Zar Amir Ebrahmi.
Cannes 2022 : l'histoire bouleversante de Zar Amir Ebrahimi, prix d'interprétation féminine et héroïne des Nuits de Mashhad"Nous avons été très critiqués par l'Iran. Ils nous comparaient à Salman Rushdie (NDLR : écrivain américano-britannique d'origine indienneé cible d'une fatwa, un appel au meurtre lancé par l'ayatollah iranien Rouhollah Khomeyni, au sujet de son livre "Les Versets sataniques" publié en 1988. Ce dernier a été poignardé le 12 août 2022. S'il a survécu, il a néanmoins perdu l'usage d'un oeil et d'une main.) et proféraient des menaces, en particulier à l'égard de Zar Amir Ebrahmi, qui est une personne plus publique. Sur les réseaux sociaux, elle reçoit des menaces de mort tous les jours. Du genre : "on te tue, on tue ton chien et tout le reste". Les Nuits de Mashhad n'est pas sorti là-bas."
"Je n'ai pas de respect pour les personnes au pouvoir en Iran"
Il ajoute : "Cette histoire est connue depuis 20 ans. Elle a été rapportée et référencée de nombreuses fois. Il y a un documentaire et même un long métrage à ce sujet, qui est sorti il y a quelques années en Iran. Je pense que la différence entre tous ces films et le nôtre ne tient pas à la narration.
Il ne s'agit pas des détails ou même du caractère explicite ou non. Je pense que c'est une question de ton. J'ai souligné le fait que je n'avais pas de respect pour les personnes au pouvoir, que je ne prenais pas la censure iranienne au sérieux et que je ne dialoguais pas avec elles. Je pense qu'ils ressentent ce manque de respect et je pense que c'est ce qui les met vraiment en colère.
Ils ont dépensé une quantité folle de dollars en propagande contre nous, surtout après la victoire de Zar à Cannes, en se basant sur un teaser du film de 40 secondes . Honnêtement, je pense que nous étions "le" sujet de débats en Iran à au moment du festival. Mais les choses ont changé si radicalement que je pense - j'espère - qu'ils ont bien d'autres choses à régler maintenant."
Samedi 3 décembre dernier, après plus de 2 mois de manifestations en Iran, le procureur général iranien a annoncé l'abolition de la police des mœurs. Une mesure qui, selon Mahnaz Shirali, sociologue et politiste iranienne, autrice de "Fenêtre sur l'Iran, le cri d'un peuple bâillonné", ne serait qu'un simple geste de communication vis-à-vis de l'Occident.
Cette dernière déclare ainsi à France Info :"Il ne s'agit pas d'une annonce officielle, cela relève davantage d'une rumeur, pour donner le change vis-à-vis de la communauté internationale après deux mois et demi de manifestations. Même si la police des mœurs était réellement supprimée, la violence envers les femmes en Iran est institutionnalisée, donc elle ne cesserait pas."