Dans le jeu vidéo, il y a des studios qui, comme au cinéma, ont plus d’aura que d’autres. Parmi eux figure incontestablement Obsidian Entertainment, fondé en 2003. Ayant collaboré sur la série Baldur’s Gate, on lui doit des chefs-d’oeuvre tels que Star Wars Knights of the Old Republic II ou Fallout : New Vegas. On rajoutera aussi pour faire bonne mesure le délirant et ultra fidèle South Park : le bâton de la vérité, ou encore Outer Worlds, un solide jeu de SF rétro mâtiné de dieselpunk.
Ce studio de développement -racheté par Microsoft en 2018- a une très grande réputation dans le domaine du jeu de rôle, et plus précisément du jeu à base de "choix et conséquences". Son tout nouveau titre, Pentiment, sorti le 15 novembre et développé par une petite équipe de 13 personnes, est tout à fait étonnant; mélangeant formidablement la fiction et la grande Histoire, capable d'être très pointue d'ailleurs, dans une aventure aux multiples embranchements narratifs. Une aventure dont la forme est aussi importante que le fond.
A quoi cela ressemble ? La bande-annonce, ci-dessous...
L'art et la mort
"En général, j'ai tendance à voir les conflits fictifs à travers un prisme historique matérialiste, c'est-à-dire qu'ils sont ancrés dans les besoins matériels des individus et des sociétés, même lorsque le cadre est fantastique ou post-apocalyptique" explique Josh Sawyer, le Game Director du jeu. Qui ajoute : "Dans Pentiment, ces conflits sont basés sur des archives historiques, même si elles sont incarnées par des personnages fictifs. Je pense que cela aidera les joueurs à se sentir un peu plus proches de ces personnages et de ce qu'ils traversent au cours des 25 années que dure l'histoire du jeu". Voilà pour la jolie profession de foi.
Emballé dans un magnifique écrin visuel rappelant Les Très Riches Heures du Duc de Berry, Pentiment déploie une intrigue passionnante située au début du XVIe siècle, dans une petite bourgade (fictive) de Bavière du nom de Tassing. Vous incarnez Andreas Maler, un artiste de grand talent et réputé, spécialiste des enluminures et de la gravure sur bois.
Il profite justement du cadre exceptionnel offert par l'abbaye voisine de Kiersau pour exercer son talent. Une des dernières où moines copistes et enlumineurs cohabitent et exercent leur art, adossés à une très vaste bibliothèque ayant aussi son lot de livres interdits... Jusqu'au jour où un meurtre est commis dans les murs de l'abbaye, contraignant Andreas Maler à mener l'enquête et à prendre des décisions, dans un temps limité... Des choix qui pourront d'ailleurs se révéler absolument dramatiques.
Nous évoquions le Nom de la rose dans le titre. Ce n'est pas un simple effet d'hommage à l'oeuvre d'Umberto Eco brillamment adaptée au cinéma. Cette histoire de manuscrits interdits sur fond de querelle théologique entre les moines franciscains et l'autorité pontificale est une référence assumée dans Pentiment, figurant même à la fin du jeu dans une bibliographie suggérée et ayant abondamment nourri l'imaginaire créatif du studio. Une initiative plutôt rare.
Des thèmes profonds
Ce qui est absolument fascinant, c'est la capacité du jeu à brasser avec une intelligence confondante de très nombreux aspects historiques, tous entremêlés : l'importance et le poids des corporations; le rôle et la place des femmes dans la société; la prépondérance du savoir émanant du monde ecclésiastique; les querelles théologiques entre la puissance pontificale et le courant religieux luthérien qui gagne toujours plus en influence; les liens de vassalité entre le seigneur et ses sujets; l'importance de la solidarité dans le monde paysan encore imbibé de croyances païennes...
On rajoutera même les événements que l'on a appelé la Guerre des Paysans allemands; conflit social et religieux qui a eu lieu dans le Saint-Empire romain germanique entre 1524 et 1526, dans diverses régions aujourd'hui réparties entre cinq pays européens. Et on ne cite ici qu'une poignée, déjà très abondante, des sujets abordés dans Pentiment.
Quand on vous disait plus haut que le jeu s'aventure en terrain très pointu... Dans cette optique, on salue l'initiative d'offrir au joueur un glossaire abondant, renvoyant aux termes historiques et différents événements, qui aide un peu plus à s'immerger dans le cadre de son sujet.
Science de l'écriture
Les dialogues, très, très nombreux, ont fait l'objet d'une attention toute particulière, y compris visuellement. Le style de la police changera en fonction de la perception qu'Andreas a du statut social et de l'éducation de son interlocuteur. La police de caractères est dotée de masques de traits qui permettent de dessiner chaque lettre comme si elle était écrite à la main et que le personnage vous écrivait.
Comme les polices reflètent l'écriture manuscrite, les personnages peuvent faire des erreurs et les fautes de frappe sont réécrites en temps réel. L'impression devient plus dominante au début de la période moderne et se reflète dans la police de caractères de la presse d'imprimerie inventée par Johannes Gutenberg, où certains caractères se gravent d'un seul coup.
Corollaire de cette approche très textuelle, elle peut aussi se révéler fastidieuse, même s'il est possible d'en accélérer l'affichage. Comme ce jeu utilise des polices stylisées et des effets d'écriture qui peuvent être difficiles pour certains lecteurs, l'option de police "Easy Read", accessible dans les options du menu, améliore la lisibilité en désactivant certaines polices et certains effets d'écriture.
Bénéficiant d'une excellente durée de vie (entre 15 et 20h de jeu), d'une direction artistique très originale et rarement vue dans un jeu vidéo, d'une histoire intéressante qui sait aussi se faire exigeante sans forcément laisser le joueur sur le bas côté de la route, Pentiment est assurément une belle découverte.