Vous croyez connaître Jean-Luc Godard ?
samedi 4 décembre 2010 - 06h00

Il a fêté ses 80 ans vendredi, il vient de recevoir un Oscar d'honneur... Mais qui est vraiment Jean-Luc Godard, cinéaste adulé et controversé ? Auteur d'une biographie passionnante, Antoine de Baecque brosse pour AlloCiné le portrait d'un artiste pétri de contradictions, à travers une série d'anecdotes étonnantes.

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Antoine de Baecque : En septembre 1960, Le Petit Soldat est censuré par la Commission de contrôle des films. On est alors en pleine Guerre d’Algérie, avec une mobilisation très intense des intellectuels de gauche notamment à travers le Manifeste des 121, avec la répression et la torture en Algérie par l’armée française. Le député Jean-Marie Le Pen, fervent défenseur de l’Algérie Française, fait feu de tout bois, car il sent que le Général de Gaulle veut lâcher l’Algérie et aller vers l’Indépendance, la fin de l’Empire français. Le film est censuré essentiellement parce qu'il montre un déserteur de l’Armée française, joué par Michel Subor, qui va s’engager dans le terrorisme d’extrême-droite. D’une certaine manière, le film va dans le sens de Jean-Marie Le Pen, le héros pourrait être son petit cousin. Mais pour Le Pen, c’est avant tout un film sur un déserteur, et c'est au nom de cela qu’il demande l’expulsion de Jean-Luc Godard, qui est franco-suisse, du territoire national.

 

 

Le Petit Soldat crée vraiment la polémique, et vaut à Godard un certain nombre de problèmes, suscitant chez lui une grande peur. Godard craint un attentat qui pourrait venir de l’extrême-droite, parce qu’il fait le portrait d’un déserteur, ou de la gauche, parce que son héros est fasciné par l’extrême-droite. Pris entre deux feux, il est, d’une certaine manière, plutôt soulagé par la censure du film, qui ne sortira qu’après la fin de la Guerre d’Algérie, dans un moment plus apaisé, même si, à la sortie en 1963, les polémiques seront encore très vives.

 

Godard et la politique : extrême et inclassable

 

Politiquement, Godard est essentiellement sur le paradoxe, la provocation, une forme d’extrêmisme et de radicalité. On peut dire que comme tous les jeunes gens de la Nouvelle vague, il commence à droite, avec une certaine fascination pour les perdants de l’histoire. Au début des années 50, quand Godard commence à écrire, à réver de cinéma, les perdants de l’histoire, ce sont les Collaborateurs, qui ont été épurés. Il y a donc chez le jeune Godard, comme chez les jeunes François Truffaut ou Claude Chabrol, une fascination pour ces figures un peu héroïques, et mises à l’écart : Drieu La Rochelle, Brasillach ou Rebatet, qui fut le grand critique de cinéma des années 30, et qui a écrit pendant dans la guerre dans le journal antisémite Je suis partout. Cette fascination dure chez Godard jusqu’au début des années 60. Le Petit Soldat peut être vu comme le prolongement de cette attirance pour des personnages d'anarchistes de droite un peu dandys : le héros du film s’engage à l’extrême-droite mais ses lectures et ses amours sont à gauche, c’est très ambigu. Mais dans le contexte de la Guerre, pour les jeunes gens de gauche engagés dans le soutien au FLN, ça leur paraît très éloigné d’eux.

 

 

Godard reste très suspect pour la gauche jusqu’au milieu des années 60, quand Une Femme mariée (photo ci-dessus) est censuré par le gouvernement gaulliste. Ca fait basculer Godard de droite à gauche, à la fois dans son itinéraire personnel, car il y a une prise de conscience, et dans l'image qu'on a de lui. A partir de là, il y a un engagement de Godard, lié notamment à la Guerre du Vietnam, à l’anti-impérialisme. Et il y a une identification de la jeunesse de gauche à Godard, qui aborde 68 dans la peau d’un jeune héraut, une jeune star de la culture de gauche. C’est une position qui le mettra d’ailleurs mal à l’aise : étant à la fois de gauche et star, il est la cible des attaques de ceux qui sont plus à gauche que lui et anti-vedettes… Les situationnistes, Guy Debord en tête, seront très virulents, injurieux à l’égard de Godard, qui représente un peu un alibi de la culture bourgeoise. Le fameux slogan «  le plus con des Suisses pro-Chinois », qui apparaît sur les murs de la Sorbonne en mai 68, dit tout à fait cela. En même temps, Godard l’a bien cherché : il est toujours dans une position ambiguë, paradoxale, très anti-américain, antisioniste, et en même temps sensible à des formes de tradition romantique ou mystique, plutôt de droite. Ces deux cultures coexistent en permanence chez lui, ce qui fait l’intérêt de sa situation politique. Il est à la fois extrême et inclassable.

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Commentaires

  • Fancin

    Cette interview est très très intéressante!

  • Laura B.

    Cool, bon travail. Merci !

  • gimliamideselfes

    Il méritait vraiment un dossier. C'est chose faite. C'est une bonne idée d'avoir pris un de ses biographe pour le faire.

  • themike1972

    Bande d'incultes, kleptomane s'écrit avec un k...

  • il.pipo

    non ça s'écrit avec un "c" mon grand...Vérifie avant de faire le malin.

  • catrio

    Passionnant ce dossier, on n'aura jamais fini d'écrire sur Godard, ni de ressusciter Truffaut sans qui Godard ne serait pas devenu JLG

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