Quand le scénariste du “Godsford Park” de Robert Altman (2001), Julian Fellowes, développe l’idée première de ce film en la transposant dans une série baignant dans l’atmosphère des grandes maisons anglaises du début du XXème siècle, on est en droit d’attendre une certaine tenue tant du point de vue narratif, qu’historique ou esthétique. Le pari est plus que réussi, la série étant devenue culte depuis la sortie de la première saison en 2010. En 2016 après une 6ème saison et 52 épisodes, le domaine de Downton Abbey sur lequel règne encore en 1925 Lord Grantham, referme ses portes après un épisode conclusif où Julian Fellowes règle dans la bonne humeur toutes les intrigues en suspens et offre un destin ouvert à tous les personnages que nous avons appris à aimer y compris les moins sympathiques d’entre eux comme Thomas Barrow (Rob James-Collier) le majordome tiraillé par une homosexualité refoulée. Les réalisateurs toujours nombreux (14) alternant sur la longueur d’une telle série, c’est bien au créateur que revient la lourde tâche d’imprimer sa texture au récit qui fera que celle-ci saura ou non convaincre le téléspectateur de la suivre sur le long cours et ceci malgré les fatales interruptions entre deux saisons. Julian Fellowes qui connait bien par son ascendance le milieu qu’il décrit a profité du vent actuel de nostalgie qui souffle dans l’esprit des peuples occidentaux inquiets par une mondialisation que plus rien ne freine et par la disparition des valeurs qu’elle entraine, additionnée à l’isolement provoqué par la part toujours plus grande des nouvelles technologies dans nos modes de communication . Sur l’ensemble de la série, le scénariste nous invite à suivre le destin de la famille Crawley sur une bonne décennie de 1912 à 1925. Période durant laquelle le mode de vie de la très traditionaliste aristocratie anglaise subit les coups de boutoir d’une Révolution industrielle qui s‘est grandement accélérée à la fin du XIXème siècle, notamment en Angleterre et dont les retombées sur le mode de vie et les exigences de la classe ouvrière se font pleinement sentir jusqu’à aboutir à la grande crise de 1929. Le temps où les ducs et les comtes régnaient en maîtres sur un vaste domaine composé essentiellement de fermes dont les revenus alimentaient le train de vie fastueux des familles privilégiées semble révolu et il est dur pour une partie de la noblesse anglaise encore très respectée de l’admettre. C’est dans ce contexte chahuté que la famille Crawley doit se débattre avec à sa tête Robert, le comte de Grantham (Hugh de Bonneville), dont le riche mariage avec Cora une héritière américaine (Elizabeth McGovern) ne pourra suffire à maintenir le rang qui était le sien. Le problème qui s’amplifiera après le bouleversement de la Grande Guerre est encore compliqué par l’absence d’un descendant mâle seul capable de maintenir l’unité du domaine. C’est donc autour de la question du mariage des trois filles du couple, Mary, Edith et Sybil que va s’articuler une bonne part des intrigues. Mais bien sûr l’aristocratie ne serait rien sans son pendant indispensable que constitue le personnel de maison dit ceux « d’en bas » en opposition à ceux "d'en haut". Une opposition dont Julian Fellowes nous démontre au fil des épisodes qu'elle n'est pas si évidente tellement la proximité est grande permettant au personnel de vivre par procuration les joies, peines et intrigues qui touchent leurs maîtres. Le même sens strict de la hiérarchie règne à tous les étages, faisant de Monsieur Carlson le majordome (Jim Carter) et de Melle Hughes la gouvernante (Phyllis Logan) le reflet presque parfait de Lord et Lady Grantham. Le balai incessant d'informations qui servent souvent de moyen de pression fait bien sûr tout le sel de "Downton Abbey". Fort de tous ces ingrédients et de manière assez objective, Julian Fellowes s'y entend à merveille pour rendre compte à travers ses contradictions de la réalité sociale de l'époque. Ceci malgré une forme de naïveté voire d'angélisme qui pourra en agacer certains mais qui est consubstantielle aux visées romantiques de la série. Tout ceci posé comme des fondations plus que solides, c'est bien le soin apporté à la reconstitution historique et à la direction d'acteurs qui rend très rapidement le téléspectateur dépendantt. On le sait, les acteurs anglais sont réputés très professionnels et ici l'ensemble du casting est en tout point remarquable avec une capacité rarement vue à intégrer sans à-coups les nouveaux arrivants. On notera une apparition mutine de Shirley MacLaine en belle-maman américaine, venue chambouler le rythme de sénateur de Lord Grantham et ferrailler avec Violet Crawley la rusée douairière (succulente Maggie Smith), mère de Lord Grantham, qui n'entend pas lâcher complètement la main. Enfin et par dessus tout il faut revenir sur la qualité des dialogues dont le doublage en VF est somptueux notamment pour Maggie Smith honorable vétérane du cinéma anglais (deux fois oscarisée) dont les réparties sont à elle seules un régal. Depuis le succès international de la série, il paraît que les embauches de majordomes sont en nette hausse et que le château de Highclere (dans le Hampshire) ne désemplit pas. Si en plus d'être un excellent divertissement, une série est pourvoyeuse d'emplois induits, il faudrait vraiment être un invétéré grincheux pour faire la fine bouche.