Voilà une œuvre méritant amplement quelques lignes flatteuses...
À la fin des années 1990, David Simon et Edward Burns, futures plumes de la série « The Wire », voient HBO leur proposer l'adaptation télévisuelle et leur livre « The Corner : enquête sur un marché de la drogue à ciel ouvert », résultat d'un an de cherche, d'interviews et d'observation sur le traffic de drogue à Baltimore. Accompagnés par le producteur David Mills et le réalisateur Charles S. Dutton, les deux lurons vont donc avoir accès au monde du petit écran, avec cette mini-série de six épisodes d'une heure, suivant les destins de nombreux protagonistes récurants, errant près des coins de rue de Baltimore West.
« The Corner » frappe dès son introduction, longue et brisant le quatrième mure, emportant immédiatement dans une ambiance où il devient difficile de distinguer la réalité de la fiction. L'œuvre nous attache en particulier à trois personnages ; deux parents divorcés : Fran et Gary, dont les veines bouillonnent à grand coup d'héroïne ; et leur fils : DeAndre, qui a 15 ans, traine sur le trottoir dans le but de dealer, seule activité qui, pour lui, est capable de lui apporter le respect de ses camarades. En partant de cette trame d'apparence classique — et même très américaine — David Simon et David Mills dressent un conte social naturaliste d'une mélancolie et d'une lucidité sidérante, voire effrayante, scrutant les âmes à la dérive pour mieux délivrer leur constat sur leur mode de vie.
Dénuée de temps mort, « The Corner » s'éveille à travers deux séquences phares : celle où Fran, clean depuis quelques semaines, cherche à reprendre de la drogue pour s'éloigner de ses problèmes familiaux, mais que le dealer qu'elle va voir lui refuse toute transaction. Le dealer en question, Chief, est d'ailleurs l'un des personnages du feuilleton apportant le plus d'empathie, car, malgré sa vieillesse et sa sagesse, il illustre parfaitement le piège que représente cette substance génératrice d'un trip éphémère. L'autre séquence phare est l'interview finale, ou la fiction laisse place à la réalité : celle des hommes et des femmes ayant réellement vécus cette histoire, et interviewer à propos de leurs malheurs, mais aussi de leur rédemption. Un épilogue touchant, mais révélant également des personnages fictionnels écris à la plume d'argent. « The Corner » possède la principale qualité des séries HBO : ses personnages. Tous possèdent, dès le premier épisode, un passé, des rêves, et leur destin, souvent tragique, mais les faisant exister au delà du physique : conduisant automatiquement à l'émotion et rendant chaque récit passionnant. Cependant, plus la série semble s'éclaircir, plus il est certain qu'elle s'achèvera mal. Car les protagonistes sont tous prisonniers du même vortex, et ceux qui parviendront à en sortir ne finiront pas indemnes.
Nonobstant les actes parfois crapuleux de ces anti-héros, David Simon et David Mills créent sans mal un climat concret illustrant un monde hostile ou s'entremêlent la mort et le rêve, dressant un humanisme cerné par le Mal et la fatalité. Ou comment être simple sans tomber dans la facilité. Car pour échapper à la réalité, la fiction reste la meilleure alternative.