Comme il l'indique lui-même en interview, Sur ordre de Dieu est un projet éminemment personnel pour Dustin Lance Black. Le scénariste oscarisé pour Harvey Milk raconte avoir entamé l'adaptation du livre signé Jon Krakauer début des années 2010. Le biopic du premier élu homosexuel était un sujet crucial pour Black, artiste ouvertement gay. L'enquête au sein d'une famille mormone le touchait également de près, ayant été élevé selon la même confession au Texas. La question du dogme sera donc centrale et non un prétexte pour faire de l'œil aux fans de True Detective. Pardonnez ce comparatif mais il est celui qui revient le plus souvent avec Mindhunter. On peut admettre que la série anthologique de FX foisonne de matière comme ses modèles. Par contre, les routes se séparent sitôt qu'on décortique le programme, aussi ambitieux mais nettement moins victorieux.
Inspirée d'une histoire vraie - le double meurtre abominable d'une jeune mère et de son bébé de 15 mois en 1984 - l'intrigue s'échine à remonter l'histoire de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Rien que ça. Pas de méprise : il n'y a pas volonté à créer une controverse ou verser dans la condamnation unilatérale. D'où un personnage principal identifié comme inspecteur et pratiquant mormon. Il s'agit plutôt de détricoter les fils, revenir aux sources d'un récit sacré mais surtout imaginé, interprété et ré-interprété jusqu'à en occulter certains prémisses pour le moins obscurs. Dustin Lance Black choisit de mêler deux strates temporelles. On suit la création et l'évolution du dogme au XIXè Siècle, récit miroir d'une famille influente se désagrégeant jusqu'au point de non-retour dans les années 80. La charge se déroule sur plusieurs niveaux. L'hypocrisie d'une bureaucratie prête à tout pour conserver un ordre patriarcal fétide, le fossé entre croyance et folie, et le danger d'un révisionnisme historique bien réel mais pas assumé,...Ambitieuse, je vous l'ai dit. Sur le fond, rien à dire. La forme, c'est une autre histoire.
L'idée d'une double-narration est géniale, sa mise en application bancale. Les allers-retours d'un siècle à l'autre finissent par embrouiller l'enquête et ses avancées, la redondance menace notamment sur le personnage de Jeb, dont la remise en question manque clairement de subtilité. Il n'est pas certain que les intermèdes familiaux avec sa famille aident beaucoup (sur ce point, l'épisode final agit comme un douloureux révélateur). En outre, il est regrettable que son duo avec Bill Taba (Gil Birmingham) soit peu exploité, on est très très loin de l'alchimie imparable du couple Cohle/Hart ou Ford/Tench. Une structure plus linéaire aurait probablement réussi à créer une montée en tension irréfrénable. Le rythme se trouve vraiment à partir du 4ème épisode, signe qu'un montage plus allégé dès le départ aurait davantage fonctionné. Là ou David Fincher et Cary Fukunaga ont su donner une patine unique à leurs séries d'entrée de jeu. L'ambiance du bayou chez True Detective hantait chaque épisode aussi sûrement que son redoutable plan-séquence de l'épisode 4, et le moindre entretien avec les profilers de Mindhunter est une leçon de mise en scène.
Dustin Lance Black offre tout de même un thriller théologique résolument audacieux dans ses thématiques, critique sans être binaire, et interprété avec grand talent. Je retiendrai surtout Billy Howle, Wyatt Russell et Chloe Pirrie, sur lesquels notre regard change au fur et à mesure. Le nombre d'épisodes n'est pas en cause, surtout leur construction en réalité. La substance est évidente, la manière de l'infuser plus nébuleuse. Encore une fois, il n'est pas question de "se faire" le mormonisme, plutôt d'en analyser les sous-bassements historiques afin de mettre en lumière certaines passerelles extrémistes et doctrines infâmes propagées par des imposteurs. Les moyens employés ne sont pas les plus efficaces, mais le discours a ceci de fort qu'il n'est pas manichéen. Pour un spectateur athée, la plongée a le mérite d'inciter au respect et pour un croyant à la prudence.