La collaboration Arte/Dumont est l'occasion pour ce dernier d'expérimenter. Vu l'occasion fournie de porter son univers en série, il a opté pour la comédie absurde, permettant de créer un plaisir immédiat chez le spectateur, sans jamais sacrifier un temps soit peu la beauté sublime et la profondeur. Il a ensuite appliqué une recette similaire avec Ma Loute cette fois sorti au cinéma et il s'est même laissé tenté par la comédie musicale, toujours pour Arte, avec Jeannette.
Je dois dire que j'aime tout autant ses drames, que ses comédies. Reste que là Coincoin et les z'inhumains est encore une fois l'occasion pour Dumont de s'essayer à quelque chose de nouveau : une suite.
Il ne propose pas juste une simple saison 2 de P'tit Quinquin, il n'y aura aucun éclaircissement sur les événements de la série de 2014 qui se terminait quand même un peu en queue de poisson il faut bien l'admettre, mais avec une beauté sans pareil.
Coin Coin reprend donc les mêmes personnages, mais trois ans plus tard, ils ont grandi, ils ont évolué et premier drame, P'tit Quinquin (ou Coin Coin) n'est plus avec sa copine, ce couple offrait les moments de grâce de P'tit Quinquin, ils se parlaient comme des adultes en se disant "Mon amour, mon amour" et en s'enlaçant tendrement.
Maintenant Eve est lesbienne et déjà on voit que Dumont n'aura aucun tabou. Il fera des blagues sur tous les sujets qui fâchent : l'homosexualité, les migrants, le racisme, la pédophilie, le handicap mental... Bref il ne se refuse rien, et ça donne une impression immédiate de liberté.
Surtout que, et ça va en faire plaisir à certains, que ce n'est jamais fait pour blesser ou heurter, c'est juste fait pour être drôle au dépend de tous ces personnages débiles profonds qui parcourent sa série.
Ma première réaction est que cette fois Dumont n'a pas fait l'équilibre entre l'humour et le drame profond qui se trame. On suit beaucoup plus les deux policiers, dont un, le commandant, est juste inintelligible, qui était quand même les principaux ressorts comiques du premier volet. Et en sortant du visionnage, je me disais que je n'ai pas eu la sensation d'avoir été profondément bouleversé comme ça a pu être le cas avec tous les Dumont à part 29 palms. J'avais adoré, certes, j'ai ri abondamment à plusieurs reprises, mais je n'avais pas été marqué au fer rouge...
Et puis les heures ont passé et finalement, comme pour Jeannette, comme pour Camille Claudel (et tous les autres), finalement cette sensation est venue. Cette sensation d'avoir été profondément touché malgré moi et là c'est d'autant plus fort que je ne m'y attendais pas, la série étant comme dit plus axée sur l'humour... Mais malgré l'humour il reste néanmoins ces personnages, ce cadre magnifique dans lequel ils évoluent, les regards, la détresse... et puis cette fin sublime... prévisible, un peu, mais d'une rare beauté... aussi absurde que profondément traumatisante, surtout qu'encore une fois elle ne résout absolument rien, ne répond à rien, elle est belle et elle existe...
Donc que les amateurs de Dumont se rassurent (les autres pourront continuer à détester dans leur coin et à râler à soi-disant il véhicule des mauvais stéréotypes sur le Nord de la France, reste que jamais le Nord n'aura été plus beau qu'avec Dumont derrière la caméra), on rit, peut-être plus que dans la saison un, mais l'émotion à contre-temps reste présente.
Et Dumont réussit donc quelque chose de sublime, encore une fois. Les plus belles scènes restent celles entre Eve et Coin Coin, surtout qu'elles sont frustrantes étant donné qu'ils se sont séparés. Il y a un côté profondément triste.
Mais jamais il ne prend le dessus sur l'humour et le côté un peu malsain de certaines situations tellement dérangeantes. Je pense au commandant (et son clown), forcément, qui font des compliments à une jeune adolescente, voire qui vont même jusqu'à dire que lui aussi à leur âge il aurait bien aimé fricoté avec la jeune fille. Il balance même ce qui est la meilleure réplique du film, sortant de nulle part, après un long délire inintelligible : "Attention au racolage".
Dumont ose même filmer les prêtres caresser les cheveux de jeunes bambins, jusqu'à qu'un flic aille avec eux caresser les enfants... On rit, mais c'est tellement malsain qu'on se sent coupable de rire. C'est vraiment fort de la part de Dumont de réussir à trouver la juste limite entre ce qui est drôle mais consensuel, et le truc simplement malsain, pour réussir à provoquer le rire chez le spectateur en même temps que le dérangement. Notons que la scène se termine avec très curés qui font peur à des enfants en leur disant que s'ils ne rentrent pas chez eux ils vont dormir dans l'église avec les curés... Flippant.
Malgré l'absurdité de son univers, il arrive malgré tout à parler du réel, des migrants, du Front National... sans que jamais ça ne soit lourd, orienté, moralisateur... vraiment une bouffée d'air frais.
Notons également que cette absurdité est renforcée par le réalisme et la beauté de décors, il va filmer dans un décor champêtre du nord de la France, sait rendre hommage au patrimoine français... Filme des villages, des fermes et mine de rien inscrit malgré tout son film dans le quotidien d'une ferme.
Aussi, pour la blague, Dumont fait un film qui aurait réellement pu s'appeler L'invasion des profanateurs de sépultures, en faisant un film qui parle réellement d'invasion de profanateurs de sépultures. Si c'est pas beau. Surtout qu'il reprend le pitch de base du film du même nom.
Forcément toute cette histoire de clown (ou de clone) est une source intarissable de gags grotesques et burlesques, mais aussi d'une fin de second épisode absolument sublime...
D'ailleurs la musique intervient juste à la fin de chaque épisode et provoque à chaque fois des frissons... elle est belle et simple et vient apporter finalement un peu de tendresse dans l'absurdité du monde.
Dumont se sert également de cette absurdité pour se moquer des séries américaines, les deux flics parodiant bien volontiers le comportement de leurs confrères américains... gueulant, dérapant en voiture, tirant en l'air... Difficile de ne pas voir l'aspect profondément ridicule de ce genre de séries (ou film) ensuite, tant la mise en scène souligne le ridicule et la disproportion de ces actions.
Certaines répliques sont destinées à rester cultes, mêmes si rien ne dépassera sans doute le chtiderman ou bien le "on n'est pas là pour philosopher Carpentier".
Reste que c'est hilarant et sublime. Avec ses personnages Dumont arrive encore une fois à toucher son spectateur aux zygomatiques, mais surtout en plein cœur.