Franchement, fuyez. Il n’y a rien à voir ici. Sauf si vous êtes un poisson clown et que vous êtes immunisés contre les tentacules urticants de l’anémone trop âgée pour mourir jeune. D’ailleurs, malgré tout, ça tombe bien, puisque tous les personnages de « Too Old to Die Young » sont des poissons clowns se débâtant dans la plus grande anémone du monde : le Los Angeles de Nicolas Winding Refn. Images canoniques, texture flatteuse, scénario impavide et figures solitaires peu affables se retrouvent donc pour l’amour des morceaux de cervelles dispersés un peu partout dans la pièce. Considérant plus cette œuvre comme un film de 12h30 que comme une première saison de dix épisodes, Nicolas Winding Refn livre, avec la complicité d’Ed Brubaker, un objet en totale rupture avec les convenances du format télévisuel. Ici, on ne parle pas, mais on crache, on ronfle, on renifle… Bref, nous n’avons rien à faire en ce monde. Et de toute manière, ce dernier n’offre rien, sauf la laideur morale, à laquelle le protagoniste principal va tenter de répondre.
« Il faut que je la tue. Sinon elle va foutre ma vie en l’air ». Ainsi démarre « Too Old to Die Young », par les paroles d’un flic dont la maitresse est en train de prendre trop de pouvoir sur la vie. On le comprend d’emblée, cette série sera placée sous le joug des femmes, et les manières avec lesquelles ces dernières détiennent les pleins pouvoirs sur la vie des hommes. Théâtre de la cruauté, « Too Old to Die Young » ressemble à du Antonioni sous ecstasy : le rythme y est lent, incisif, citant en permanence l’inéluctable ; tout est prétexte à mettre en exergue la beauté singulière, celle de la loi de la jungle, celle du dérangement et de la névrose. Nicolas Winding Refn pousse jusqu’aux retranchements (et parfois à la limite du supportable) sa réalisation opaque, nous poussant à nous interroger sur la valeur superficielle, et informe de l’image. Ne se faisant pas prier pour prêcher l’outrance, le réalisateur danois affine sa lame, et étire si bien chaque séquence que le résultat n’est qu’une déshumanisation décomplexée de chaque personnage, et finalement, de notre propre regard de spectateur.
Régulièrement, la série se détourne de ses enjeux initiaux pour se cristalliser à travers une toute autre approche, mettant en scène deux intrigues parallèles : celle de Diana, dirigeante d’une nébuleuse de spadassins, et celle de Yaritza, épouse d’un dirigeant de cartel. Bien évidemment, ces femmes vont, au fur à mesure, se révéler des divinités, tirant les ficelles de la violence du monde. Une violence où les visages sont indifférents, jusqu’à ce qu’ils explosent, jusqu’à ce que les prédateurs auxquels ils appartiennent deviennent à leur tour des traqués. Ainsi, on ne peut que ressentir l’irrésistible pesanteur de ce malaise, illustré par cette boucle, au sein de laquelle Refn s’en remet à nombre de symboles. Une boucle fermée, mais en rien stérile, puisque s’y font face crimes et châtiments, nimbés par la photographie évanescente de Darius Khondji ; puisque bien évidemment, Refn a bien choisi de s’entourer de pointures, de Cliff Martinez signant la bande originale à un casting composé par Miles Teller ou encore Jena Malone.
Evitant scrupuleusement une théâtralisation exacerbée, Nicolas Winding Refn semble plus à l’aise que jamais dans l’abstraction, qu’il réduit elle-même une telle épure qu’il n’a même pas besoin de chercher des personnages archétypaux, ni d’attaches, ni même de saintes paroles. Non sans évoquer la figure tutélaire de Kenneth Anger, « Too Old to Die Young » navigue dans un L.A. filmé comme une vieille tache de sang partie trop tôt, pour s’imposer parmi les sublimes expériences, que l’on ne peut que déconseiller. Non vraiment, fuyez.