Depuis l'incroyable œuvre de Darren Aronofsky, Black Swan, qui a mis en scène la belle Nathalie Portman dans une conquête de la perfection au sein du New York City Ballet, le 6ème art revient en puissance et fascine, de plus en plus, un public profane qui apprécie les visions réalistes, voire décadentes, du monde des ballerines. Il n'en fallait pas moins pour qu'une « showrunneuse » passionnée décide de franchir l'étape télévisuelle et veuille produire une mini-série dramatique en 8 épisodes (et malheureusement une seule saison) qui nous immerge dans l'étrange ambiance du American Ballet Theatre à New-York. On peut le dire, le résultat est étonnant : mélange entre beauté et laideur, grâce et déformation ou encore pureté et perversité, Flesh and Bone, comme l'oeuvre d'Aronofsky, ne peut créer que des réactions épidermiques chez son spectateur qui, soit ne supportera pas la violence psychologique des nombreux vices de l'intrigue ou se retrouvera bouleversé, à jamais, par ce subtil et grossier mélange de paradoxes thématiques, rendant la distinction entre le bien et le mal, de plus en plus difficile à définir.
Moira Walley-Beckett , créatrice du show, a fait son renom en tant que co-scénariste de l'inimitable Breaking Bad et nous prouve avec Flesh And Bone que la direction ne lui fait pas non plus peur, puisqu'elle est, en plus, productrice déléguée de sa propre série. Celle-ci relate l'histoire d'une jeune danseuse, Claire Robbins, jeune femme auto-destructrice au passé trouble, qui, après s'être enfuie de sa petite ville de Pittsburgh, débarque à New York pour intégrer une illustre compagnie de ballet. Reçue du premier coup au concours d'entrée, la jeune femme talentueuse provoque rapidement la jalousie de ses collègues et va apprendre que pour réussir dans le métier, la souffrance du corps n'est pas l'unique sacrifice auquel une danseuse doit se confronter : l'ordre et la morale doivent voler en éclat également.
Dans les grandes lignes, Flesh and Bone ressemble étrangement à son prédécesseur cinématographique et pourtant il parvient à s'émanciper, sans mal, se permettant, même, d'aller encore plus loin et encore plus fort, ayant compris que pour faire ressentir ce qu'il y a de plus beau et dans un élan de pure sublimation, il faut l'associer à la laideur d'un monde dégénéré et parfaitement malsain. Ainsi, tous les thèmes les plus innommables sont abordés (inceste, prostitution, pédophilie etc...) et c'est à partir de ce moment que la réaction du spectateur accepte ou refuse d'adhérer à la dépravation, comme vision fondamentale et normalisée d'un univers, générateur de grâce, à l'origine.
De plus, la grande force de Flesh and Bone réside dans deux points qui rendent, encore plus palpable, l'univers réaliste des ballerines : il s'agit d'abord du casting choisi parmi de véritables professionnels de la danse, avant d'être des acteurs de cinéma. La jeune Sarah Hay (dans le rôle de Claire) nous propose une interprétation criante de vérité, dans l'exploitation d'un corps fait pour la danse et les tortures physiques permanentes que cela implique. Chaque moment de danse est ressenti comme un véritable moment divin (dont un dernier épisode magistral) pour le spectateur qui est saisi par la beauté que provoque une telle souffrance. Ensuite, le secret réside dans la composition d'une musique nouvelle, par Adam Crystal (autre que Tchaïkovski), un ballet inédit qui donne ce statut événementiel à la série, une prise de risque provoquant l'impression que l'on assiste à la création d'une œuvre d'art totale.
Flesh and Bone est une série à ne pas remettre entre toutes les mains, étant donné que la corde sensible que Walley-Beckett agite n'a de sens que par les réactions extrêmes qu'elle provoque: la demi-mesure ne trouve jamais sa place. Cependant, la série parvient à dépasser l'oeuvre fantastique d'Aronofsky, en adoptant une vision naturaliste d'un envers du décors, sachant prendre le risque de tomber, parfois, dans la vulgarité, afin de pousser son sujet jusqu'au bout et mieux mettre en valeur la perfection des arts de la scène. On regrette que la chaîne Starz ne veuille plus entendre parler du show, surtout lorsque l'on s'arrête sur un grand Cliffhanger, procédé que la série avait soigneusement évité depuis le début. On espère que l'engouement du public suffira à ce que des chaines provocatrices, comme HBO, s'intéressent au sujet.