Difficile ou démangeaison ? Les deux mon capitaine ! Oui, c’est difficile de ne pas poster un ressenti à cette série. Oui, ça me démange de ne pas ajouter mon sentiment à ceux déjà écrits. En plus, je suis conscient de n’apporter aucune originalité.
Tant pis ! C’est viscéral, c’est l’envie de m’agglomérer à une bulle de partage. Et puis le ridicule ne tue pas. J’en sais quelque chose, si j’écris, c’est que je suis encore vivant ! Plus d’une fois, après chaque épisode, en refermant mon iPad, je me suis senti ridicule d’avoir… d’avoir… d’avoir laissé échapper une larme… voire deux… d’avoir les yeux brouillés… la gorge nouée, quoi… Pourtant, il n’y a pas lieu de se sentir ridicule. « Sense8 », découvert cet automne, devrait me rassurer : sur mes sentiments, sur ma part d’humanité. Et puis à lire ça et là les messages, je me suis aperçu que je n’étais pas le seul à être soi-disant « ridicule ». Est-ce vraiment le mot juste ? Non, évidemment. Personne n’est ridicule ou ne devrait se sentir ridicule et encore moins en avoir l’idée ! Il n’y a rien de plus merveilleux que d’être touché. Car je pense que ce sont de bonnes larmes. « Sense8 » n’est pas une série qui se complaît dans l’émotion artificielle, dans l’émotion « fait pour », dans une émotion calibrée. Le récit ou plutôt les récits, et plus précisément les 8 personnages font appel à de véritables émotions.
Et en plus, c’est ingénieux comme idée, bien orchestré selon les plans quand les personnages viennent à s’imbriquer, à s’incruster, à se confondre.
Ces personnages font preuve d’une humanité qui m’a profondément touché. Si c’est ça l’évolution de l’Homme, je suis optimiste pour les milliers d’années qui se préparent. Moi qui ne crois ni en Dieu ni en l’Homme, « Sense8 » me réconcilie avec l’Humanité. Une série science-fiction ancrée dans notre réalité. Ici pas de monstres venus d’ailleurs. Ce qui est rare. Comme « E.T », autre grand film de science-fiction qui m’a touché et me touche encore, le monstre est l’Homme. L’Homme qui n’accepte pas la différence, l’Homme curieux dans la plus abjecte signification : profiteur, expérimentateur, comploteur, mercantile. Seulement Lana et Lilly Wachowski, de par leur parcours personnel, nous montre aussi l’Homme dans ce qu’il a d’humain plus particulièrement parents et amis : si on regarde bien, les parents d’Amanita, compagne radieuse de Nomi, la soeur de celle-ci ; les parents de Kala ; la maman de Capheus ; la maman de Sun ; le papa de Riley ; puis les amis proches comme le compagnon de Lito, Hernando et leur surprenante et dynamique amie Daniela ; Félix, l’ami de Wolfgang ; et enfin Bug sont merveilleux et remplis d’amour. Ces personnages sont d’une tolérance infinie.
Comme j’aimerais vivre au sein de la famille d’Amanita par exemple ! On peut reprocher aux sisters Wachowski d’en avoir sans doute trop fait. Et si c’était ça aussi la science-fiction ? Au lieu de toujours nous décrire des mondes dystopiques où les sentiments sont refoulés, cachés, pourquoi ne pas décrire un monde où la tolérance serait le sujet central ? Un enjeu essentiel ? Il faut le faire ! Imaginer un monde où des êtres humains seraient tolérants ! Où la différence ne se verrait plus.
D’aucuns pourront toujours dire que c’est « cucul » les bons sentiments. Eh ben non !!! C’est ce qu’il y a de plus difficile à exprimer. C’est d’autant plus périlleux que l’on peut basculer dans la facilité voire dans le ridicule. Tous les théâtreux vous le diront après un exercice d’atelier. Dire « Je t’aime » est plus difficile que d’exprimer sa haine, sa colère. La haine, la colère défoulent. La plupart des apprentis comédiens débitent la consigne sans retenu. Par contre, quand il s’agit de dire des mots d’amour, l’apprenti se sent de suite ridicule, les mots sont plus hésitants, hachés. A la limite, ça prête à sourire voire à rire. Si le receveur a le malheur de ne pas y croire, c’est la franche rigolade. Oui, il est difficile de dire « Je t’aime ». Et ce n’est pas que dans les ateliers théâtre, dans la vie tout simplement. Oui, il est facile de se laisser emporter par la colère.
Par conséquent, « Sense8 » fait appel à de vraies émotions car les soeurs Wachowski ont su habilement et avec talent ne pas céder à la facilité au milieu d’une intrigue dense et d’informations nombreuses. C’est la force de cette série. Il n’y a rien d’évident. Il n’était pas évident de tourner réellement sur quatre continents. Il n’était pas évident d’orchestrer des foules de figurants admirablement impliqués. Il n’était pas évident de conjuguer émotions et intrigues intriquées ! Il n’était pas évident de brasser autant de thèmes : rapports Afrique/Monde moderne ; mafia, mafieux ; corruption, complots scientifiques ; homosexualité, transgenre ; intolérance, déni ; droit à la différence, monde professionnel plus attaché au paraître ; amitié, solidarité, partage, don de sa personne, sacrifice, sexualité ouverte. Tous ces thèmes enchevêtrés ont réussi à toucher les spectateurs au point de rédiger une pétition afin de réclamer une rallonge. Au-delà de la démarche fan-attitude, il était inconcevable que la série soit à ce point décapitée. Il fallait une fin, une vraie fin. La force de cette série réside aussi dans tous ses personnages ; ô combien il est difficile de préférer tel ou tel personnage. Je comprends que l’on ait des chouchous, mais dans l’ensemble, à lire les réflexions, pour la très grande majorité des fans, il était difficile d’extraire un ou deux personnages des huit. J’ai comme l’impression qu’ils sont tous sur le même podium d’amour. En tout cas, je les aime tous. J’ai souffert pour chacun, j’ai aimé chacun. Et je pense que là aussi c’est la grande force de la série. Je suis persuadé que c’était l’intention des soeurs Wachowski. Pari réussi. Rare qu’une série puisse à ce point faire de ses personnages l’unanimité. Aimer tous ces personnages attachants c’est accepter leur « soi-disant » différence. Aimer tout entier, tel que l’on est. A bien y regarder on n’a pas « à accepter ». Car reconnaître « leur différence », c’est penser être hors la norme.
On dit que l’art ne peut pas changer le monde. Je suis de ceux qui pense fortement que l’art peut aider à faire évoluer les consciences. Si chaque conscience évolue alors le monde peut évoluer et finir par changer. Encore faut-il être prédisposé à accepter une évolution. Ce n’est pas donner à tout le monde, surtout à ceux qui sont encore enfermés dans leurs préjugés. Ancrés dans des certitudes liées à des traditions familiales, sociétales, religieuses. Oui, « Sense8 » relève bien de la science-fiction, car ce n’est pas pour demain qu’un monde tolérant voie le jour. Incroyable ! « Sense8 » est une piqûre de rappel qui nous fait du bien, qui me fait du bien pour nous injecter un peu d’Humanité. Je peux aimer « Banshee », « The Punisher » tout en aimant « Sense8 ». Je salue tous les acteurs Jamie Clayton, Doona Bae, Tina Desai, Tuppence Middleton, Toby Onwumere et Ami Ameen, Max Riemelt, Miguel Angel Silvestre, Brian J Smith, et sans oublier Freema Agyeman pour leur jeu remarquable ; à voir en V.O évidemment pour s’en rendre compte et savourer, mais aussi pour leur implication. « Sense8 » est une série militante comme pouvait l’être « The L World » (que j’adore aussi). Un grand merci à Lana et Lilly Wachowski pour ces bons moments, pour ce récit d’aventure fait d'obstacles, pour ce tour du monde coloré rempli d’Amour.