Septembre 2014, David Fincher déclare qu'il réalisera pour HBO l'intégralité d'Utopia, remake d'une série britannique annulée prématurément pour cause de mauvaises audiences (flop qu'on ne s'explique toujours pas). Cependant, nous apprenons cet été que le projet tombe à l'eau, le cinéaste et la chaîne ne parvenant pas à s’entendre sur le budget du show. Dommage, surtout quand on sait que Gillian Flynn (auteure de Gone Girl et de son adaptation) était chargée d'en écrire le scénario et que Rooney Mara (Millénium, The Social Network...) devait intégrer le casting... Intrigué par le synopsis de la série originale imaginée par Dennis Kelly, je décide de me lancer, histoire de voir ce que l'on rate. Autant le dire tout de suite, Utopia est un véritable bijou ! Un bijou qui rejoint instantanément le cercle très fermé des séries dites cinéphiles, telles que True Detective ou Fargo, acclamées pour leurs nombreuses qualités cinématographiques. Pas étonnant donc que Fincher s'y soit frotté... Première surprise, la série ne comporte que douze épisodes répartis sur deux petites saisons. Et c'est justement ce qui fait tout le charme d'Utopia. Au lieu de s'étaler sur vingt interminables épisodes, son auteur Dennis Kelly a choisi d'aller à l’essentiel, tout en proposant une histoire alambiquée et complètement barrée qui, au fur et à mesure, prend une ampleur extraordinaire. Surpopulation de la terre, meurtres, paranoïa et théories du complot sont au programme de ce thriller conspirationniste, dont je ne peux pas trop vous dévoiler l’intrigue, au risque de spoiler la série. Sachez seulement que chaque épisode est bourré de retournements scénaristiques et de montées en tension qui vous cloueront à votre siège. Mais surtout, ce qui saute aux yeux dès les premiers plans de la scène d'ouverture (magistrale soit dit en passant), c'est son esthétique extrêmement particulière, évidemment inspirée des comics. Logique, vu l'histoire qui nous est racontée... Dans cette série tournée en format cinémascope (chose rarissime à la télévision), les couleurs, hyper saturées, pètent de partout, les cadrages sont minutieusement composés et sont aussi symétriques que dans un film de Wes Anderson... Bref, un bonheur pour les yeux ! Une mise en scène magnifique donc, à laquelle vient s'ajouter une ambiance tout à fait singulière, rappelant certains films des frères Coen comme Fargo (le long-métrage cette fois-ci) ou No Country for Old Men, passant parfois d'un humour très subtil et particulièrement cynique (on a droit à quelques répliques cultes) à une violence oppressante et viscérale. Il se dégage également d'Utopia une atmosphère onirique envoûtante, sur fond de musiques bizarroïdes composées par Cristobal Tapia de Veer, qui signe là une bande originale totalement expérimentale, à la fois pesante et rigolote. Enfin, on ne peut pas parler d'Utopia sans en évoquer les personnages : drôles, attachants, inquiétants, étrangement sapés, balançant des "What a fuck !" et des "Jesus Christ !" à chaque fin de phrase... Le tout étant servi par un casting impeccable, révélant notamment Meil Maskell et Fiona O'Shaughnessy, duo phare de la série. Le premier incarne un tueur impassible et terrifiant, la seconde campe Jessica Hyde, héroïne badass par excellence. Ces deux comédiens au physique atypique livrent des prestations étonnantes, qui n'ont quasiment rien à envier à celle de Matthew McConaughey dans True Detective. En somme, voilà une série unique en son genre et débordante d'originalité qui, malheureusement, se termine trop brutalement (l'annulation du show oblige), laissant un gout d'inachevé. Utopia reste malgré tout une œuvre innovante visuellement et scénaristiquement, que je vous recommande chaudement ! Si HBO trouve un nouveau réalisateur pour son remake, pas sûr qu'ils parviennent à nous faire oublier ces deux superbes saisons, les britanniques ayant mis la barre très haut.