Alors que j'écris ces lignes, je viens de conclure définitivement l'aventure "Death Note". C'est ainsi, comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin. Mais moi, pendant ce temps, je suis triste. Il s'agissait d'une relecture de l'oeuvre à travers la découverte de l'anime. Une nouvelle fois, le manga m'a complètement retourné et ce n'est pas demain la veille qu'un anime parviendra à autant me surprendre sur ses qualités scénaristiques et graphiques. C'est bien connu, achever une série, c'est comme quitter son meilleur ami pour une durée indéfinie, c'est difficile jusqu'à en devenir obsessionnel. Je serais tenté de tout simplement résumer cette série en la décrivant comme "parfaite, dotée de tout ce qui fait d'une série un chef d'oeuvre". Mais non, il me trotte depuis quelques mois l'idée de développer combien cet anime (tel le manga) est grand, combien ce monumental succès littéraire et télévisé occupe une place centrale dans notre société. Qui aurait cru qu'une série puisse un jour dégager un tel impact psychologique sur son audience ? Qui aurait cru pouvoir donner crédibilité au monde inférieur, à savoir celui du Royaume des morts ? C'est au même rythme que ces questionnements me venant à l'esprit lorsqu'il s'agit d'expliquer ce phénomène, que nous suivons le quotidien tout à fait banal de Light Yagami, adolescent âgé de 17 ans, taciturne mais élève intellectuel, ambitionnant de consacrer sa vie professionnelle aux sciences au service des enquêtes judiciaires. Rien ne l'avait préparé à réaliser ses projets autrement jusqu'à ce qu'il trouve par hasard, à la sortie des cours, le fameux Death Note, grâce auquel il se désignera désormais comme l'"élu d'un monde nouveau". La vie des gens dont il connaît le nom et le visage est à présent entre ses mains, il est le marionnettiste, ils sont les pantins, et ceux-ci peuvent disparaître à jamais à tout moment s'ils sont acteurs d'activités illicites. Finalement identifié par le FBI et ne croyant plus à l'idée d'une justice collective, le jeune homme se transforme petit à petit en une bête féroce, sans pitié aucune. Chargé par ses propres démons de ménager le monde à sa sauce, cette fin le poussera entre autres à sacrifier certains de ses amis pour garder sa discrétion et ne pas nuire son innocence. Cavalier seul (ou presque puisque le véritable propriétaire du cahier, le dieu de la mort Ryûk, l'accompagnera tout au long et Light est le seul à pouvoir le voir), il fait le voeu, tel le Dorian Gray d'Oscar Wilde, de maintenir éternellement sa belle idée de justice, ce qui fait de lui un héros pour une moitié de l'humanité, tandis que son alter ego, Kira, subit le fardeau de ses pêchés. Kira, entre alibis et opposants, est-il finalement le suppôt de Satan, le messie ou une victime de ses maux? Au même titre que les 12 tomes du manga, les trois volumes de l'anime (12 épisodes par volume) vont pointer du doigt l'évolution puis la déchéance de celui qui se désigne comme "l'Elu" à travers ses faits et gestes. L'arrivée du "cahier de la mort" dans sa vie éveillera en lui l'une des plus mauvaises passions humaines: l'ambition. Derrière son apparence de simple étudiant solitaire, se cache une âme sombre assoiffée de vengeance et par l'idée de faire du mal à tous ceux et celles qui le méritent.
Se désignant comme un dieu, il se servira de ses admirateurs comme d'outils pour parvenir à ses fins.
Parmi ses victimes se trouvent l'idole japonaise Misa Amane dont elle est follement amoureuse, qu'il trompera avec la
présentatrice TV Kiyomi Takada dans le second arc de la série, mais avec lesquels aucune véritable amour n'aura lieu.
Aussi, Teru Mikami, ce personnage de passion, sera l'objet de l'ultime mouvement de Kira, ce qui les conduira tous
deux vers leurs fins. Aucun d'eux n'est véritablement coupable puisque c'est l'idéologie presque dictatoriale de Kira qui aveugle leurs faits et gestes.
Dans le premier arc, les personnages, que ce soit Light ou L, sont chacun dotés d'un double niveau de lecture, rendant notre perception très variée de l'univers ; le tout, propice à un questionnement politique sur le monde réel sur la valeur de la vie humaine: faut-il combattre le mal par le mal ? Ainsi nous voici projetés chez Kira, dans ses écrits, dans sa folie. Une ascension qui sera interrompue par l'intervention de L, mystérieux détective désigné comme le plus intelligent qui soit, prenant parti du côté des opposants et qui forcera Kira à redescendre sur Terre et se rendre définitivement.
Light est doté de toutes formes de perfection: garçon intelligent, apollon, bien entouré, et promis à un brillant avenir... Hélas, il s'ennuie et souhaite aller "au-delà" de sa perfection et accomplir l'impossible: obtenir un monde parfait. C'est son insatisfaction qui lui fera perdre peu à peu son sang froid, refusant catégoriquement la défaite. Et pourtant, même dans la bonne initiative d'éliminer les malfaiteurs, il sera contraint d'effectuer les "mauvaises choses", c'est à dire le parcours semé d'embûches pour parvenir à des buts compliqués à atteindre. Quant à L, personne au look gothique et au style vestimentaire atypique, et doté d'une très haute intelligence, il fascine par toutes les conclusions qu'il tire des moindres faits et gestes de Light et Misa, et par ses décisions inattendues quant au destin réservé à son concurrent qu'est Kira. Ses comportements particuliers, voire autistiques, laissent de nombreuses interrogations sur son rapport à la société ou encore, de manière sous-entendue, à la religion ; par exemple, lorsqu'il essuie les pieds trempés de Light, on y reconnaît la fameuse scène biblique dans laquelle Judas trahie Jésus. Analogiquement, Light punie les criminels tout comme L décide de châtier de manière obsessionnelle Light et Misa, au point de les enfermer en cellule pendant plusieurs semaines, de gré ou de force! L apparaît donc tout aussi coupable que Kira dans son rapport à l'humanité, ce qui en fait un personnage bourré de mystères et qui se révèle être au-delà de ce qu'il prétend être.
Qu'on prenne parti ou non pour lesdits personnages, la sobriété des dialogues (plus particulièrement les échanges entre les deux génies) et de la narration des réflexions personnelles de ceux-ci n'indiffèrent pas. Je pourrais en revanche reprocher une légère surdose de dialogues dans le derniers tiers, où les nombreuses réflexions et debriethings du SPK mené par le jeune Near risquent d'en rebuter certains. Heureusement, la plupart d'entre elles se suivent sans déplaisir tant elles sont bien écrites et nous tiennent tout particulièrement en haleine jusqu'à la fin
des deux problèmes majeurs de l'histoire.
La résolution du premier, réussir à éliminer L, et le second, vaincre Near et son diabolique frère Mello, considérés comme les dignes successeurs de feu L.
Les nombreuses sous-intrigues constituant le premier arc sont parfaitement orchestrées tant le personnage de Light / Kira fascine par sa subtilité et sa capacité à résoudre les puzzles que lui imposent ce(ux) qui lui met(tent) des bâtons dans les roues. S'en suivra ensuite le second arc, celui qui divise la plupart des admirateurs de l'homme au cahier: le récit devient une dystopie (voire une utopie pour beaucoup d'entre nous... Kira serait-il vraiment de ce monde ?), nous faisant imaginer un monde futuriste situé en 2012 et nous présentant un Light adulte parvenu à ses fins. Ou presque.
Puisque il est impossible de fuir son passé, il sera de nouveau confronté à ses vieux démons. Avec un climat plus mélancolique que pour l'arc précédent, cette seconde partie, tel une pièce de tragédie, nous prouve qu'on ne peut échapper fatalement au mal qu'on pourrait avoir commis autrefois, d'où l'apparition de Mello et Near. Near, le plus intelligent des deux, enfant ou adolescent génie à l'apparence de gnome, parviendra finalement à vaincre Kira tandis que ce dernier était aveuglé par son orgueil et sa détermination à être plus puissant que n'importe qui. Ceci annonce une suite d'événements désastreux tels que la mort de son père, Sôichirô Yagami, membre de la police japonaise qui s'est mêlé à l'affaire Kira à cause de l'intervention de Mello, la trahison envers Misa suivi par son suicide, ou encore la mort de Kiyomi Takada, après avoir été manipulée par un Light à la limite de l'infernal.
Pour résumer, en voulant sauver le monde de la tourmente, notre héros / antagoniste cédera à la tentation du mal dans le second arc dans lequel tout va basculer pour lui: son comportement inhumain nous fait prendre conscience de la rage et de la puissance contenue dans son désir de gloire et de pouvoir. On est donc ici face à un ample portrait du personnage, l'Epicurien par excellence, c'est-à-dire celui qui ne vit qu'à travers ce qui suscite en lui du plaisir. Le plaisir est suivi par une déchéance, inconsciente que Light ne réalisera que lorsqu'il se rendra compte de sa défaite, mais attendue rappelant des films tels que "Le Loup de Wall Street", "Taxi Driver" et "Barry Lyndon" dans sa vocation de "devenir quelqu'un". Tsugami Ohba, auteur du manga, a confié ne pas avoir originellement cherché à inclure quelconque morale dans son oeuvre, qui devait se limiter à un simple divertissement. La seule chose sur laquelle le scénario insiste vraiment, c'est le réel: personne ne peut échapper à la Mort, quel que soit sa situation, en particulier lorsque l'on s'engage à devenir une personne comme Kira.
Light a conçu sa vie tel qu'il le souhaitait, mais en commettant le mal. Le scénariste a voulu montrer, à travers ce paradoxe moral rendant l'oeuvre accessible, que malgré la folie de Light. C'est un personnage typique qui a su profiter de la vie à sa manière, et c'est ce qui fait l'essence d'une vie humaine selon l'auteur.
Un final qui, par ailleurs, fait froid dans le dos puisqu'on est plongé dans les pensées de Light pour une ultime fois, et finalement, on se met à sa place, après l'avoir suivi pendant 37 épisodes. Le portrait des personnages principaux est d'une richesse infinie, et les secondaires ne sont pas pour autant négligés. Des personnages secondaires dans l'incipit peuvent être retrouvés parmi les personnages principaux dans l'excipit, comme Sayu, la petite soeur de Light, innocente et dans la fleur de l'âge. Il est beau de voir à quel point l'humanité est mise en valeur dans un scénario aussi calibré sur le thème de la mort, là où l'histoire n'aurait pu que s'arrêter sur une banale suite de variations sur le même événement. Beh non !
Chaque intrusion et chaque disparition de personnage fait mouche. La réapparition de Takada, sa mort ainsi que celle de L et surtout celle de Light. Elles marquent toutes un tournant dans le déroulement historique et c'est évidemment dans le dénouement de Light qu'une page se tourne définitivement. Les deux excipits sont bien différents mais celui de l'anime est très clairement le plus beau, le plus chargé émotionnellement et le mieux construit des deux. Alors que la fin du manga expédie quelque peu la mort de Light pour se concentrer sur le monde "après Kira", l'anime prend son temps pour conclure de tout ce qui s'est produit en 37 chapitres à travers une sublime séquence quasi-muette. Puis, s'ensuit le générique de fin, avec une mélodie douce et mélancolique qui nous fait comprendre que tous les enjeux exposés ont réussi à atteindre leur terme et que Kira règne à présent dans l'au-delà, "ni en enfer, ni au paradis".
Le graphisme est parfait, que ce soit les décors, le style physique des personnages, leurs gestes expressions les rendent attachants. Quant à la bande-son, composée par Hideki Taniuchi, elle offre une ambiance ecclésiastique unique en son genre entre chants grégoriens et métal. Hélas, je trouve les deux openings assez peu adaptés, le premier étant une chanson pop et le deuxième un morceau de metalcore bien peu marquant. Une faiblesse qu'on pardonnera grâce au reste de l'OST qui s'écoute avec plaisir pour aller plus loin dans l'exploration de la franchise. Le doublage (il est question de la VF) est exquis, et fait davantage effet après la lecture du manga. En effet,
retrouver Light avec la voix de Tommy Cornichon dans "Les Razmoket" (Alexis Thomassian), L avec celle du rat Rémy
dans "Ratatouille" (Guillaume Lebon), la déesse de la mort Rem avec la voix française de Whoopy Goldberg (Maïk
Darah), Mello avec celle d'Anakin Skywalker (Emmanuel Garijo, sans oublier qu'il est celui qui a doublé les Chipmunks
et toutes autres petites voix célèbres dans ce genre ^^), Near avec celle Big Bang dans "Kid Paddle", etc. est un sacré paradoxe. Chaque étiquette colle parfaitement au produit et on n'a nullement envie de se séparer de ces personnages.
Enfin, comment parler de "Death Note" en parlant de son humour, trop présent pour beaucoup d'entre nous ? Eh oui c'est tout à fait possible, l'humour qui y est inclus est à mon goût réussit, tout en en trahissant pas l'atmosphère glauque qui doit se dégager. On rira facilement face à la gourmandise de Mello et L avec leurs tablettes de chocolat ou encore leurs bananes, une gourmandise qui leur est indissociable et un biais pour montrer les défauts universels de l'Homme. Sans oublier Ryûk, le dieu de la mort montrant, en réclamant des pommes en échange des services qu'il rend à Kira, qu'il souhaite être lié au monde des humains pour être associé à eux. Pour autant, il ne cache pas son caractère narquois face au monde des humains et on sent qu'il n'est clairement plus "concerné" par leurs affaires. Par ailleurs, les nombreuses théories à son sujet, sont intéressantes à observer. Aussi, Misamisa, nom de scène de Misa Amane, la mannequin naïve et à l'apparence pouponne, sera présentée comme un personnage déterminé à vivre de sa passion. Or, comme nous le savons, Kira, hormis pour le pouvoir, n'est pas un personnage de passion. On a donc tantôt de la pitié, tantôt de la sympathie envers cette fille parfois fatigante tant elle est dynamique ! On peut encore mentionner les membres de la police japonaise dont Matsuda, maladroit agent de police qui cherche à se faire respecter dans ce bas monde. En conclusion de cette trèèèèès longue dissertation, je définirais "Death Note" comme une oeuvre polyvalente, philosophique, dramatique, entre suspense et comédie noire. Un monde extrêmement riche, un reflet plus qu'actuel de
notre société qui m'a murmuré au creux de l'oreille de devenir ce que je suis réellement. Des rebondissements à n'en
plus finir contribuant à une intrigue tenant en haleine du premier au dernier épisode, une ambiance hors du commun
nous réconfortant dans l'idée d'avoir affaire à la Grande Faucheuse, et surtout, un raisonnement politique bien vaste
faisant de ce manga une oeuvre unique en son genre. Arigato gozaïmasu Tsugami Ohba, Takeshi Obata, Tetsur� Araki, Hideki Taniuchi et les autres. Infiniment, merci d'avoir contribué à cette palette de sentiments. "Une fois morts, ils ne peuvent jamais revenir à la vie", ainsi se termine l'histoire de Death Note...