Né le 1er novembre 1927 à Francfort mais de nationalité américaine, Marcel Ophüls est le fils de l’illustre réalisateur Max Ophüls et de l’actrice Hilde Wall. Il suit l’exil de sa famille d’abord en France en 1933, puis émigre aux Etats-Unis en 1941 après la défaite de l’armée française. De retour à Paris en 1950, il étudie la philosophie qu’il abandonne pour devenir l’assistant de Julien Duvivier, d’Anatole Litvak, puis de son père sur le film Lola Montès, en 1955. Après avoir travaillé un temps à la télévision allemande, il signe deux courts-métrages de fiction, puis le sketch français du film collectif (1962). L’année suivante, il réalise son premier long métrage, Peau de banane. Une comédie emmenée par le duo Jean-Paul Belmondo et Jeanne Moreau, un ex-couple cherchant à escroquer par vengeance deux assureurs véreux. Après Feu à volonté (1965), il pose avec Munich ou la paix pour cent ans la première pierre de l’œuvre pour laquelle il est davantage connu et fait autorité : le documentaire historique.
Le tournant a lieu en 1969. Cette année-là, il réalise ce qui devait être à la base un film de commande pour la télévision suisse : Le Chagrin et la Pitié. Cité à l'Oscar du Meilleur film étranger, le film dresse la chronique de la vie d'une ville (Clermont-Ferrand) de province entre 1940 et 1944. Le film élargit son propos factuel à toute l'Auvergne, mais comporte aussi des témoignages de personnalités ayant joué un rôle important pendant la Guerre (Militaires, Hommes d'État, Témoins-clés) ou ayant participé activement à celle-ci, pas forcément à Clermont-Ferrand ni même en Auvergne. D'une durée de 4 heures, le film, tourné en noir et blanc, est constitué d'entretiens et d'images d'actualité de l'époque. Celles-ci, présentées sans aucun commentaire, ont été réalisées sous le contrôle de la propagande du gouvernement de Vichy sauf pour l'avant dernière d'entre elles : interview cinématographique de Maurice Chevalier, s'exprimant en anglais, à destination du public américain, se justifiant d'avoir collaboré avec les Allemands, suivie d'images de la libération rythmée par une chanson joyeuse du célèbre fantaisiste, ce qui laisse à la fin le spectateur dans une situation de réel malaise.
En France, ce film a été censuré pendant plus de 10 ans à la télévision. Il donne en effet une vision très négative d'une partie de la population française, plus tournée vers Pétain que vers de Gaulle. La Droite française, mais aussi le Parti communiste français, soucieux de mettre l'accent sur une France résistante incarnée par le général de Gaulle, a souvent tenté de minimiser la collaboration pour préserver la cohésion nationale. C'est ainsi que le film sera banni du petit écran jusqu'à l'arrivée de la Gauche en 1981. Le film eut un énorme retentissement, parce qu'il tendait à la société française une image que la conscience collective avait pris soin d'enterrer : l'Occupation et la Collaboration.
Le film constitue historiquement la première plongée cinématographique effectuée dans la mémoire collective française sur la période de l'Occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale. À une idéologie qui ne faisait pratiquement état jusque là que des faits de Résistance, Marcel Ophuls permit de mettre l'accent sur des comportements quotidiens beaucoup plus ambigus à l'égard de l'occupant, voire de franche collaboration. En brisant l'image faussement unanime d'une France entièrement résistante, le film a joué un rôle très important dans l'inauguration d'une phase de la mémoire de l'occupation à partir des années 1970.
En 1976, il adopte la même démarche avec Memory of Justice (inédit en France), un documentaire fleuve de 4h30, qui revient sur les procès de Nuremberg en 1946 et la condamnation à mort des dignitaires Nazis. Il lui faudra trois ans, entre 1985 et 1988, pour réaliser l’extraordinaire Hotel Terminus, implacable et rigoureux documentaire sur le procès historique de Klaus Barbie, chef de la Guestapo à Lyon. Une œuvre saluée à juste titre par un Oscar du Meilleur documentaire. Avec Novembertage - Stimmen und Wege en 1991, il revient sur l’histoire et le destin tragique de la ville de Berlin, jusqu’à la récente réunification de la ville après la chute du Mur. En 1994, il signe Veillées d'armes, histoire du journalisme en temps de guerre; autre documentaire fleuve de 3h30 ayant pour toile de fond le terrible conflit dans l’ex-Yougoslavie et la tragédie bosniaque.
Auteur : Olivier Pallaruelo