Guy Gilles, né Guy Chiche à Alger, reste l'un des cinéastes français les plus méconnus. Il a pourtant élaboré en une dizaine de films une oeuvre cohérente et personnelle, avec des thèmes qui lui resteront propres (la mélancolie, le souvenir, la perte) dans un style fait de maniérisme photographique et de stylisation du montage. " Je suis formaliste, mais la forme est l'expression de la sensibilité " disait volontiers Guy Gilles. Ses films, interrompus pour certains (La Tête à ça), inachevés pour d'autres (Nefertiti), sont très peu visibles mais font de lui une personnalité à part du cinéma français au même titre que Jean-Daniel Pollet ou Jacques Rozier.
A vingt ans Guy Gilles a déjà été journaliste à Alger, étudiant aux Beaux-Arts et a réalisé deux court-métrages, Soleil Eteint et Au biseau des baisers. C'est en 1960 qu'il s'installe définitivement à Paris, où la rencontre avec le producteur Pierre Braunberger oriente le cours de sa carrière. A vingt cinq ans à peine il touche à tous les métiers du cinéma, ce qui lui permettra d'avoir plus tard une maîtrise totale de ses propres films : tout à tour monteur, opérateur, assistant réalisateur, il travaille notamment pour Jacques Demy et Francois Reichenbach. Il met trois ans pour tourner son premier long-métrage L' Amour à la mer, qui ne trouvera finalement pas de distributeur. Par la précision des cadres et la fluidité de son montage, le film est une entrée vertigineuse dans l'univers très poétique et romantique de Guy Gilles. Il apparaît dans son propre rôle, racontant l'arrivée à Paris, les premières années de solitude, la liberté dans la ville. On peut entre autres y voir des apparitions de Jean-Claude Brialy, Jean-Pierre Léaud, Romy Schneider ou Alain Delon. C'est aussi la première collaboration avec Patrick Jouanné, son acteur fétiche, son double à l'écran, qui jouera dans la quasi-totalité de ses films.
En 1967 Guy Gilles tourne son second long-métrage Au pan coupé, " un film rêvé " selon lui, court poème douloureux autour d'un couple principal formé par Macha Méril et Patrick Jouanné. Le film connaît un certain succès critique mais reste boudé par le public. La reconnaissance vient véritablement avec son film suivant, son plus grand succès, Clair de Terre. Ce film nostalgique qui a pour vedette Edwige Feuillere lui permet de renouer avec l'Afrique du Nord. Ici encore, de nombreuses stars jouent dans le film : Micheline Presle, Roger Hanin ou encore Annie Girardot. Produit par la Gaumont, son film suivant amorçe un tournant : sombre, désespéré, dérangeant, Absences répétées aborde le thème de la drogue et reste un échec cuisant. Guy Gilles tourne occasionnellement pour la télévision (notamment un film sur Proust et un sur Genêt), mais marqué par sa rupture avec Jeanne Moreau, il sombre dans la dépression. Le cap des années 70 sera difficile.
Coup sur coup Guy Gilles aborde le film policier avec Le Jardin qui bascule (1974) et Le Crime d'amour (1981), deux films ambitieux dans lesquels il aborde le thème de l'ambiguité sexuelle, deux films qui une fois de plus ne rencontrent pas le public. Le tournage de sa comédie La tête à ça au début des années 80 est abandonné. Ses retrouvailles à l'écran avec Patrick Jouanné aboutissent en 1987 sur Nuit docile, une errance nocturne déroutante et désespérée. Film lugubre, il se heurte à l'indifférence voire au mépris de la critique. Guy Gilles attend ensuite près de dix ans pour terminer ce qui reste son dernier film, inachevé puisque pour cause de litige financier les studios de Cincecitta en garderont des bobines : Nefertiti. Coproduction italienne ayant connu de multiples incidents, Nefertiti peine à trouver une cohérence et Guy Gilles déjà malade tente malgré tout de sauver ce qui peut rester de son idée initiale. Il s'éteint en 1996 à l'âge de cinquante sept ans, laissant aux cinéphiles une oeuvre unique dans le cinéma français, impressioniste, nostalgique et lyrique.