Lorsque René-Lucien Chomette pousse ses premiers cris, le 11 novembre 1898 à Paris, le cinéma est son aîné de 3 ans, et ils attendront quelques temps avant de se rencontrer. Elevé dans la capitale française, il devient ambulancier volontaire au crépuscule de la Première Guerre Mondiale, et s’essaye ensuite au journalisme, dans les colonnes de "L’Intransigeant", où il signe ses articles sous le nom de "René Després". Une activité qu’il continue, quelques années plus tard, en dirigeant le supplément cinéma de la revue "Théâtre et Comoedia illustré".
Entre temps, il devient René Clair et fait ses premiers pas devant la caméra, en décrochant des rôles dans Le Lys de la vie ou Parisette, réalisés en 1921, et ne met pas longtemps à vouloir passer derrière, puisque c’est en 1923 qu’il réalise Paris qui dort, moyen métrage teinté de fantastique où il affiche déjà la poésie qui caractérisera son cinéma. Mais c’est surtout l’année suivante qu’il signe son premier coup d’éclat : sollicité par le Théâtre des Champs-Elysées pour leur livrer un court métrage à diffuser pendant l’entracte d’un ballet, il fait scandale avec son "Entr’acte" d’inspiration dadaïste.
Plus classiques, même s’ils confirment le goût de leur auteur pour le fantastique, Le Voyage imaginaire (1925) et La Proie du vent (1926) calment un peu le jeu, tout comme ses adaptations, muettes, époque oblige, d’Eugène Labiche que sont Un chapeau de paille d'Italie (1927) et Les Deux timides (1929). Mais c’est l’arrivée du parlant qui va donner un coup de fouet à la carrière de René Clair, dont le nom commence à traverser les frontières suite à la sortie de Sous les toits de Paris (1930), où le fantastique a laissé place à un discours social et au réalisme poétique, dont il est l'une des figures aux côtés de Julien Duvivier et Marcel Carné.
Une tendance que confirment Le Million et, surtout, A nous la liberté, satire dans laquelle la Tobis, sa société de production allemande, verra un précurseur des Temps modernes de Charles Chaplin (1936), ce que René Clair a toujours réfuté. Il faut dire qu’à cette époque, ce dernier a d’autres soucis en tête, et notamment les échecs du Dernier Milliardaire (1934) et Fausses Nouvelles (1936), à peine rattrapés par le succès de Fantôme à vendre (1935), qu’il tourne à Londres. De retour dans l’Hexagone, il voit le tournage de son film suivant interrompu par la Seconde Guerre Mondiale et s’enfuit à New York, après des passages par l’Espagne et le Portugal.
Réfugié outre-Atlantique, le cinéaste profite de l’accueil qui lui est réservé pour se refaire une santé en signant quatre longs métrages, parmi lesquels Ma femme est une sorcière (1942), où il iconise l'actrice Veronica Lake, et Dix petits Indiens (1945), considéré comme l’une des plus fidèles adaptations des "Dix petits nègres" d’Agatha Christie. Le conflit et cette parenthèse enchantée terminés, René Clair regagne la France, où il renoue avec le succès, grâce au Silence est d'or (1947), puis La Beauté du Diable (1949), transposition du mythe de "Faust" sur grand écran, où il entame une collaboration avec Gérard Philipe.
Les deux hommes ne mettent pas longtemps à se retrouver, puisque l’acteur est ensuite à l’affiche des Belles de nuit (1952), où débute une certaine Brigitte Bardot, et Les Grandes manoeuvres (1955), premier film en couleurs de René Clair, qui décroche le Prix Louis-Delluc par la même occasion, et dirige ensuite Georges Brassens (dans son propre rôle) le temps de Porte des Lilas, d’après un roman de René Fallet. Premier cinéaste élu à l’Académie Française, en 1960, il subit toutefois de plein fouet l’avènement de la Nouvelle Vague, qui en fait une de ses têtes de turc.
Devenu plus rare, il participe à des films à sketches (La Française et l'amour et Les Quatre vérités), puis signe ses deux derniers longs métrages en solo (Tout l'or du monde avec Bourvil et Les Fêtes galantes avec Jean-Pierre Cassel), avant de se consacrer au théâtre et à la bande-dessinée, pour répondre à une demande de l’Académie Française. Décédé le 15 mars 1981, il s’illustre une dernière fois dans le domaine cinématographique au Festival de Cannes de 1974 où, en tant que Président du Jury, il offre le Grand Prix et celui du Scénario à deux américains en pleine ascension : Francis Ford Coppola et Steven Spielberg. Un juste retour des choses pour ce réalisateur français à qui Hollywood avait permis de s’illustrer.
Auteur : Maximilien Pierrette