Fils de parents juifs immigrants établis aux Etats-Unis (sa mère vient de Pologne et son père de Russie), le jeune Samuel Fuller devient journaliste criminel à New York à l’âge de 17 ans. Il développe, grâce à cette activité, son intérêt pour les histoires sordides et ses aptitudes rédactionnelles. Féru d’écriture, il rédige des nouvelles, des romans et collabore même à des scénarios. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il est mobilisé dans l’armée américaine et participe notamment aux débarquements en Afrique du nord, en Sicile et en Normandie… Ainsi qu’à la libération d’un camp de concentration. A son retour, il n’est plus le même homme. Cette expérience de guerre aussi longue qu’intense se ressentira dans plusieurs de ses films : Fuller est un cinéaste de la violence, qui ne rechigne pas à explorer les côtés les plus sombres de l’humanité, que ce soit sur les champs de bataille ou ailleurs.
Au lendemain de la guerre, et après avoir participé à l’écriture de plusieurs scénarios (Marge d'erreur d’Otto Preminger, Jenny femme marquée de Douglas Sirk, etc.), Fuller se lance dans la mise en scène, avec J'ai tué Jesse James en 1949. Dès ce premier film, le côté non conventionnel et indépendant du cinéaste s’affirme : Jesse James y est davantage représenté comme un tueur sans pitié que comme un hors la loi charismatique… Ce qui est révélateur de sa volonté à contourner les traditionnels dogmes hollywoodiens : Fuller est un homme en colère. Pas question pour lui de se plier aux exigences des studios. Le cinéaste est parfaitement conscient de horreurs dont l’être humain peut être capable, et le cinéma constitue pour lui un bon moyen d’en rendre compte.
Il poursuit avec les films de guerre J'ai vécu l'enfer de Corée (1951) et Baïonnette au canon (id.), puis Violences a Park Row (1952), s’inspirant de sa réelle expérience de journaliste. S’en suivent le film noir d’espionnage Le Port de la drogue (1953) avec Richard Widmark et le thriller La Maison de bambou (1955) tourné au Japon. Anticonformiste, Fuller continue de dynamiter les habituels codes du cinéma : Le Jugement des flèches (1957) se centre sur un sudiste prenant le parti des Indiens, tandis que dans Quarante tueurs (1957), une femme prend la tête d’une redoutable bande de criminels. En 1963, c’est à l’institution hospitalière qu’il s’attaque, avec Shock Corridor, considéré comme l’un de ses meilleurs films. Ce dernier suit la descente aux enfers d’un journaliste volontairement incarcéré au sein d’un hôpital psychiatrique pour enquêter sur un meurtre.
Sa volonté de représenter la violence la plus dérangeante en cherchant constamment à contrôler tous les aspects de ses films (production, scénario, dialogues, etc.), a des conséquences : il se met plusieurs personnes à dos, et - parce qu’il produit lui-même plusieurs de ses films à partir 1957, date où il quitte la Fox -, se retrouve en grandes difficultés financières. Il réalise donc de moins en moins. Dès 1965, il interprète même des personnages secondaires sous la houlette de jeunes réalisateurs prometteurs qui l’admirent, dont Jean-Luc Godard (Pierrot le Fou), Dennis Hopper (The Last Movie) ou Steven Spielberg (1941). En 1980, Fuller signe un autre chef-d’œuvre, le film de guerre Au-delà de la gloire, avec l’incontournable Lee Marvin dans le rôle principal (alors qu’il a pour habitude d’engager des acteurs peu connus). Là encore, le film - qu’il murit depuis des décennies - est fortement inspiré de son expérience de guerre. Malheureusement, "Au de-là de la gloire" est un échec au box-office.
Deux ans plus tard, il réalise le très controversé (et du coup très mal distribué) Dressé pour tuer produit par la Paramount, l’histoire d’un chien conditionné pour s’en prendre aux Noirs. Fuller y dénonce le racisme et la cruauté des hommes, même si certains y ont perçu le message inverse. Après ce fiasco commercial (son dernier film américain), Fuller se rend en France et y met en scène Les Voleurs de la nuit (1983), en compétition au festival de Berlin, et Sans espoir de retour (1988). Tous deux sont des adaptations de romans. Samuel Fuller met fin à sa carrière après avoir réalisé "La Madone et le dragon" et écrit "Girls in Prison", deux téléfilms. Il décède à Hollywood en 1997, laissant derrière lui une filmographie exemplaire, rendant compte d’un parcours placé sous le signe du sang et de la révolte.
Auteur : Laurent Schenck