Louis Jouvet, de son vrai nom Jules Eugène Louis Jouvet, est né en Bretagne, plus précisément à Crozon. Il entreprend des études pharmaceutiques, incité par sa famille, et se destine à une carrière d’apothicaire. Très vite, le jeune Louis se découvre une passion inébranlable pour le théâtre et décide de se consacrer exclusivement à la scène. Il tente à trois reprises le concours d’entrée au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris mais échoue à chaque tentative. L’acteur en herbe ne se décourage pas pour autant. Il rencontre Jacques Copeau, célèbre intellectuel du début du XXème siècle et propriétaire du Vieux Colombier. Copeau décide de l’y faire travailler en tant régisseur général. C’est sur le tas que Jouvet apprend ce que sont les métiers de comédien et de metteur en scène.
En 1927, Louis Jouvet monte sa propre association de théâtre, le Cartel des quatre, avec Charles Dullin, Gaston Baty et Georges Pitoeff. Ils se constituent un catalogue de pièces célèbres parmi lesquelles figurent celles de Jean Giraudoux, Jules Romains et Molière. Jouvet devient un homme de scène à part entière et se forge un jeu d’acteur reconnaissable entre mille. Il vient à bout de son bégaiement naturel par une prononciation syncopée. Il crée son propre répertoire de mimiques toutes plus inoubliables les unes que les autres. Son visage creusé, son regard vif et sa mince silhouette pleine d'élégance contribuent pleinement à son identité de jeu. Ce n’est qu’en 1932, à l’âge de 45 ans, que Louis Jouvet s’essaye enfin au cinéma avec Topaze de Louis J. Gasnier, où il incarne le personnage de professeur qui donne son titre au film. Un an après, il entreprend une adaptation d'une pièce de Jules Romains qu'il a joué sur les planches à plusieurs reprises. Il s'agit de Knock, qu’il coréalise avec Roger Goupillieres. Son rôle de docteur manipulateur lui permet de s’installer dans le nouveau paysage du cinéma français, qui vient à peine de pénétrer dans l’ère du parlant.
L’acteur commence une véritable carrière cinématographique et tourne près de 18 films entre 1935 et 1941. On se souvient de lui en moine vicieux dans La Kermesse héroïque (1935) de Jacques Feyder, en agent allemand dans Salonique, nid d'espions (1936) de Georg Wilhelm Pabst, en aristocrate déshonoré dans Les Bas-Fonds (id.) de Jean Renoir, en homme d’affaires peu scrupuleux dans Forfaiture (1937) de Marcel L'Herbier ou encore en évêque anglican dans Drôle de drame (id.) de Marcel Carné. Il collabore avec les plus grands réalisateurs français de l’époque mais affirme ne faire de cinéma que pour financer sa compagnie de théâtre. Il retravaille avec Marcel Carné sur Hôtel du Nord (1938) où il incarne un petit malfrat sentimental, sans doute l’un des plus beaux rôles qu'il ait jamais joué. Julien Duvivier le dirige à trois reprises en l’espace de trois ans, dans Un Carnet de bal (1937) où il côtoie Harry Baur, La Fin du jour (1938) avec Michel Simon et La Charrette fantome (1940) où il croise Pierre Fresnay. La même année, il est aussi à l’affiche de L'Ecole des femmes (id.), adaptation par Max Ophüls de la pièce de Molière.
Après la Seconde Guerre Mondiale, qui a ralenti l’ensemble de ses activités professionnelles, Louis Jouvet réapparaît à l’écran dans Untel père et fils (tourné en 1943) de Julien Duvivier, où il incarne justement un père et son fils. L’acteur enchaîne de nouveau les tournages et livre certaines de ses meilleures prestations de comédien dans Un Revenant (1946) de Christian-Jaque, où il joue un chorégraphe retourné sur les lieux de son enfance pour régler ses comptes, dans Copie conforme (1947) de Jean Dréville où il incarne un cambrioleur et ses innombrables sosies, et surtout dans Quai des orfèvres (1947) d'Henri-Georges Clouzot où il apparaît sous les traits d’un troublant policier plein de hargne. Le destin veut que l’un de ses derniers films soit le remake de l’œuvre qui l’a révélé au cinéma : Knock. Cette fois, la mise en scène est signée Guy Lefranc. Le film, sorti en 1950, permet à Louis Jouvet de se remettre dans la peau de l’infatigable médecin malicieux. Le comédien décède en 1951 des suites d’une crise cardiaque. Louis Jouvet est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands acteurs du cinéma classique français, au même titre que Jean Gabin ou Michel Simon. Un comble pour celui qui a toujours observé le cinéma avec beaucoup de méfiance, revendiquant le théâtre comme son domaine de prédilection. Plusieurs de ses répliques (« Attention attention, est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous gratouille ? » dans Knock, « Moi j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre… » dans Drôle de drame) sont devenues légendaires.
Auteur: Louis Daubresse