Acteur préféré de Sir Alec Guinness, comme celui-ci le révèlera dans ses mémoires, Pierre Jules Louis Laudenbach naît à Paris le 4 avril 1897, d’un père alsacien et d’une mère lorraine. Elevé dans un milieu bourgeois, il fait très tôt part de son désir d’être acteur et se voit soutenu dans sa démarche par son oncle, Claude Garry, ancien sociétaire de la Comédie Française qui lui permet de faire ses débuts sur les planches, le 17 février 1912. Un rôle à la limite de l’anecdote qui sera vite suivi par d’autres, et c’est ainsi que le jeune homme, devenu Pierre Fresnay, fait à son tour son entrée à la Comédie Française et obtient son premier grand rôle, dans "Les Jeux de l’amour et du hasard", alors que la Première Guerre Mondiale éclate.
Profitant du conflit et la mobilisation de comédiens plus âgés, il prend alors de plus en plus de place, cumule les œuvres importantes, et fait même ses débuts sur grand écran, dans les courts métrages France d'abord et Quand même, réalisés par Henri Pouctal. A son tour appelé au front, en 1916, il met alors sa carrière entre parenthèses jusqu’en 1920, année de son retour sur les planches et les plateaux. Toujours muet à cette époque, le cinéma ne lui permet toutefois pas de faire valoir sa diction si particulière, héritée des cours suivis au Conservatoire de musique et de déclamation, à travers les rôles qu’il tient dans L'Essor, Les Mystères de Paris, La Baillonnée ou La Mendiante de Saint-Sulpice, qui lui permettent de collaborer régulièrement avec Charles Burguet, metteur en scène spécialisé dans les drames.
Nommé Sociétaire de la Comédie Française en 1924, Pierre Fresnay se consacre alors exclusivement au théâtre, mais claque la porte de l'établissement trois ans plus tard, excédé par les passe-droits accordés à certains de ses congénères. Toujours aussi actif dans le milieu, il fait également son retour au cinéma, devenu parlant entre-temps, et décroche son premier grand rôle marquant grâce à Marcel Pagnol. Deux ans après avoir fait fi du scepticisme général au moment de faire de lui son Marius sur les planches, ce dernier lui réitère sa confiance sur grand écran en 1931, dans l'adaptation qu’il co-réalise avec Alexander Korda. Gros succès en salles, Marius sera suivi par Fanny (1932) et Cesar (1936), pour former la célèbre "trilogie de Pagnol", et accentuer un peu plus le décollage de Pierre Fresnay.
Remarqué par Alfred Hitchcock, il apparaît brièvement dans la première version de L'Homme qui en savait trop (1934), peu de temps avant que Jean Renoir ne lui offre l’un de ses plus grands rôle (si ce n’est le plus grand) dans La Grande illusion (1937) : face à des monstres tels que Jean Gabin ou Erich Von Stroheim, avec qui il partage de nombreuses scènes, l’acteur campe un touchant Capitaine de Boeldieu, et se maintient grandes ouvertes les portes de la célébrité. Fort de celle-ci, il passe derrière la caméra en 1939 avec Le Duel, aux côtés de celle qui vit avec lui depuis 1932, la comédienne Yvonne Printemps, avec qui il partagera l’affiche à huit reprises, de La Dame aux camélias (1934), leur premier film en commun, au Voyage en Amérique (1951), en passant par Les Trois Valses (1938) ou Les Condamnés (1948).
Alors que la Seconde Guerre Mondiale éclate et que l’échec du Duel l’a un peu refroidi, Pierre Fresnay tourne quelques films pour la firme allemande Continental, qui lui vaudront des soucis et un passage par la case prison à la Libération. Mais l’Histoire retiendra beaucoup plus facilement son concours à la bonne santé artistique du cinéma français pendant cette période, grâce aux deux longs métrages qu’il interprète sous la houlette d’Henri-Georges Clouzot : évoquant le climat délétère qui gangrène le pays pendant l’Occupation, sous le prisme du film policier, le cinéaste signe en effet deux œuvres aussi noires que mémorables, avec L'Assassin habite au 21 (1942) et, surtout, Le Corbeau (1943).
Une puissance que Pierre Fresnay peine néanmoins à retrouver par la suite. Narrateur de films tels que Justice est faite (1950) ou le Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy (1956), il se spécialise dans les figures historiques en incarnant, tour-à-tour, Saint-Vincent de Paul (Monsieur Vincent, 1947), Jacques Offenbach (La Valse de Paris, 1949) ou le Docteur Albert Schweitzer (Il est minuit, Docteur Schweitzer, 1952). Il fait néanmoins un écart pour son ami Leo Joannon, qui s’inspire de l’aventure vécue par l’un de ses proches pour donner naissance au Défroqué (1953), et décide, dans la foulée, d’abandonner les personnages ayant réellement existé.
Il ne quitte toutefois pas le registre dramatique en apparaissant dans Les Aristocrates (1955), L'Homme aux clés d'or (id.) ou Les Fanatiques (1957), mais s’essaye toutefois à la comédie avec Les Affreux (1959) et Les Vieux de la vieille (1960). Un film dans lequel il retrouve Jean Gabin, mais qui s’avère être à des lieues de La Grande illusion en matière de qualité. Malgré le succès public, Pierre Fresnay décide alors de se retirer du grand écran, après une ultime apparition dans La Millième fenêtre. Exclusivement focalisé sur des planches qu’il n’avait jamais vraiment quittées, il se fait très présent au Théâtre de la Michodière, qu’il dirige entre 1941 et décembre 1974, moment auquel une crise cardiaque le plonge dans le coma. Décédé le 9 janvier 1975, il reste, aujourd’hui encore, l’un des plus grands acteurs français, doté d’une diction qui aura donné à son jeu une teinte toute particulière.
Auteur : Maximilien Pierrette