Et la vie : les secrets du tournage

"Filmer l'autre, c'est faire fiction commune, comme on dit "cause commune" partager un rapport au monde qui soit, un peu, le temps de relation partagé. Alors l'espace entre nous se met à vibrer, le dehors fait voir le dedans, le temps devient matière, et même dans l'émotion qui se lève entre nous trois, filmeur, filmé et spectateur, il se pourrait que de l'invisible devienne visible : nous sommes au cinéma ! "

Denis Gheerbrant revient sur ce qu'il a voulu faire avec son film Et la vie : "Le projet de Et la vie était d'aller rencontrer les gens dans leur univers. Un univers, celui de la civilisation industrielle, avec tout ce que cela implique des relations entre les hommes, une société structurée en classes sociales qui s'identifiaient clairement, un monde qui venait de basculer vers autre chose. Il n'y avait pas encore de mots pour le nommer.

J'ai voulu ce film comme un essai sur la rencontre, sur tous les modes de rencontres : des rencontres dans la rue - de celles que je pratiquais quand je faisais de la photo - comme cette jeune fille dans un faubourg de Roubaix qui avait commencé à me parler de choses très anodines, jusqu'au moment où la caméra, le regard, la nécessité de dire a ouvert un gouffre."

Denis Gheerbrant explique les modalités de tournage d'Et la vie : "Pour ce film je partais dix jours, puis je revenais et je repartais encore dix jours, c'est à dire une semaine et deux week-ends, le moment où les gens sont le plus disponibles. J'ai tourné pendant un an en voyant les rushes au fur et à mesure, en rélechissant et en avançant petit à petit dans ce que le film m'apprenait de lui-même."

"C'est au fond de la crise, au plus fort de la contre-révolution industrielle, au moment où s'écrouleraient les uns après les autres les régimes communistes que j'avais tourné ce film ; et maintenant nous voici spectateurs et otages de l'auto-proclamation par l'économie de sa toute puissance jusque sur le politique. Le contexte historique n'est pas le même, les termes du débat ont changé et toutes ces vies qui touchent chacun d'entre nous à un endroit bien particulier, presqu'intime et secret, nous parlent maintenant avec le recul, avec peut-être plus de force. Toutes ces petites histoires ont décanté dans les chaudrons de l'Histoire, on pourrait dire qu'elles représentent une époque. Mais plus encore, elles nous touchent car ce sont de ces histoires-là, comme d'autres semblables, que notre présent est fait. Et toujours ils nous disent, ces personnages tous ensembles, la permanence des combats, tous les jours qui opposent ceux qui vivent à l'épreuve de la réalité aux discoureurs du réalisme."