Un film magistral, l’on pourrait probablement utiliser le qualificatif de parfait, un peu comme certain chef d’œuvre :« Citizen Kane » ,« 2001 » ou « Le Mépris » . Tout y est ; un sujet intemporel, ou plutôt une foison de sujets, et puis surtout un style unique, envoutant, épuré, mais tellement cinématographique, de la beauté à l’état brut et en même temps sophistiqué, ultra raffiné. Bien sûr nous sommes toujours en plan fixe à ras du tatami, souvent cadré serré sur les visages, des acteurs pleine face caméra , et toute l’émotion transmise directement vers chaque spectateur, individuellement, et puis des interludes de plans fixes de paysages , comme des têtes de chapitre qui annoncent ce qui va suivre , et c’est là où le « Voyage à Tokyo » est un chef d’œuvre c’est que chaque plan transforme un paysage « anodin » et en fait une substance qui annonce la séquence à suivre .On a l’impression d’être dans un tableau de Velázquez, avec cet effet « mise en abime ». Les plans d’usines ou de métro bondé annoncent l’arrivée à Tokyo. Un plan fixe de mer à la station balnéaire, introduit la cure thermale, et les plus beaux plans fixes de Ia ville noire, vidée, désolée, pluvieuse de Onimichi ( petite ville de province éloignée) annoncent le décès de l’héroïne . C’est énorme et diabolique. Il y a un seul travelling dans tout le film, une merveille de sobriété, travelling latéral devant un bâtiment délabré qui découvre soudain les deux grands-parents esseulés, isolés mais solidaires. Sur le fonds le film est d’une grande puissance : ce voyage de la génération sénior vers la mégapole Tokyo, où vivent leurs enfants, adultes, tous très actifs, qui n’ont pas le temps de s’occuper de leurs anciens. La vie moderne, le Japon de la croissance et de l’occidentalisation, qui happe la nouvelle génération. Cette distance, ce manque de temps et de disponibilité est décrit avec rigueur, austérité, mais pas d’aigreur ou de douleur, juste un constat, froid presque clinique ; en douceur , la famille qui se dilue, en finesse : c’est l’évolution du monde du XXe siècle, c’est universel .Très dur, très émouvant , mais qui peut-on ? L’autre sujet est celui de la jeune veuve, jeune femme magnifiquement interprétée par Setsuko Hara , probablement son plus beau rôle dans les films d’ Ozu , elle est illuminée , radieuse, c’est la Greta Garbo ou Marlène Dietrich du cinéma japonais . Elle intériorise sa douleur, son veuvage depuis 7 ans, en compensant par une sorte de bonté naturelle, de grâce. Ses beaux -parents vont tout comprendre, l’écouter, l’aimer et essayé de la motiver à réapprendre à vivre, à profiter de l’instant. Dernières scènes magnifiques où la vieillesse, la mort qui arrive pour certains est échangée contre la vie qui doit revenir , contre le bonheur assouvi. Sublime.