On connaît la chanson : les secrets du tournage

Le scénario de On connait la chanson a été écrit par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, qui jouent également dans le film. Le couple avait déjà collaboré avec Alain Resnais sur son film précédent, le dyptique Smoking - No smoking mais il s'agissait alors de l'adaptation de pièces de théâtre du Britannique Alan Ayckbourn. On connait la chanson est un scénario original -une première pour les deux auteurs qui avaient jusqu'alors uniquement écrit des pièces de théâtre.

La bande-annonce, comique, d' On connait la chanson est notable à plus d'un titre. D'une part, sa construction fait écho à celle du film : les comédiens se succèdent face caméra et disent un texte, qui est en fait un extrait d'une chanson populaire (Il est libre, Max d'Hervé Christiani, Siffler sur la colline de Joe Dassin, etc.). Cette bande-annonce prometteuse marque aussi les débuts derrière la caméra d'Agnès Jaoui, qui réalisera son premier long métrage trois ans plus tard, Le Goût des autres.

Cinéaste réputé sérieux, voire considéré comme élitiste, Alain Resnais célèbre pourtant dans ses films les formes de culture les plus populaires : c'est le cas ici de la chanson, mais on pourrait citer la bande dessinée dans i want to go home (1989) ou l'opérette dans Pas sur la bouche (2003).

L'idée d'inclure dans les dialogues d'authentiques extraits de chansons a été inspirée à Alain Resnais par le scénariste britannique Dennis Potter. Celui-ci intégrait, à l'intérieur de fictions à la dimension sociale, des chansons du patrimoine, offrant ainsi une échappée onirique... ou ironique. C'est le cas notamment dans la mini-série Pennies from heaven en 1978. On connait la chanson lui est dédié, même si les titres sont utilisés de façon différente (il n'y a pas de chorégraphie chez Resnais, contrairement à ce que faisait Potter).

Tous les comédiens du film se mettent à fredonner (en play-back) des morceaux chantés par de  grands noms de la variété (de Bashung à France Gall). Jane Birkin, qui apparaît le temps d'une scène, dans le rôle de la femme de Jean-Pierre Bacri, est la seule qui interprète un de ses propres titres (Quoi). Mais comme c'est également un play-back, à partir d'un tube enregistré douze ans plus tôt, le décalage est à peine moins troublant...

Sorti en France le 12 novembre 1997, On connait la chanson constitue le plus gros succès public d'Alain Resnais. Avec près de 2 650 000 entrées, il fait mieux que Hiroshima, mon amour, le premier long métrage du cinéaste, qui avait totalisé un peu plus de 2 200 000 entrées en 1959.

En plus du Prix Louis-Delluc  (ex aequo avec Marius et Jeannette), On connait la chanson a remporté pas moins de 7 César (sur 12 nominations), dont le plus prestigieux : celui du Meilleur Film. Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri sont à la fois récompensés en tant que comédiens (les César du Meilleur second rôle, masculin et féminin, leur ont été attribués) et en tant qu'auteurs (le film reçoit le César du Meilleur scénario original). Leur précédente collaboration, sur Smoking-No smoking, avait déjà été largement primée : 5 César, dont ceux du Meilleur film, du Meilleur réalisateur, et du Meilleur scénario.

Alain Resnais a fait appel à ses acteurs-fétiches, le trio Sabine Azéma-Pierre Arditi-André Dussollier, avec qui il travaille régulièrement (ensemble ou séparément) depuis le début des années 80. Azéma et Arditi jouaient à eux deux neuf personnages dans Smoking-No Smoking ! Mais le film marque aussi le début d'une belle complicité du réalisateur avec Lambert Wilson, qu'il retrouvera à plusieurs reprises (Pas sur la bouche, Coeurs, Vous n'avez encore rien vu).

On connait la chanson est construit de façon peu banale : au beau milieu d'une scène dialoguée, le texte dit par un personnage est remplacé par l'extrait d'une chanson célèbre (dans sa version originale). C'est ainsi qu'un personnage, séducteur, se met soudain à chanter J'aime les filles avec la voix de Jacques Dutronc ou qu'un autre, chez le médecin, se retrouve à entonner Je n'suis pas bien portant, avec la voix de Gaston Ouvrard. Le répertoire couvert par les chansons du film est très large, d'Edith Piaf (Et le reste) à Téléphone (Ca c'est vraiment toi) en passant par Léo Ferré (Avec le temps) ou Sheila (L'Ecole est finie). Selon les cas, ces chansons créent un décalage amusant, émouvant, ou nous permettent d'accèder aux pensées secrètes des personnages.

Si le film emploie évidemment des chansons qui existent déjà, Alain Resnais a tout de même demandé à un musicien de composer une bande originale. Sur les conseils de Lambert Wilson, il a contacté Bruno Fontaine, alors connu uniquement comme arrangeur et directeur musical, pour des chanteurs tels que Julia Migenes ou Ute Lemper. Sa contribution à On connait la chanson est décisive, car il est responsable des virgules musicales qui permettent de passer de façon harmonieuse et subtile des dialogues aux chansons à l'intérieur d'une même scène. Nommé aux Victoires de la Musique et aux César pour son travail sur le film de Resnais, il a de nouveau collaboré avec ce dernier sur Pas sur la bouche. Mais depuis, on a ausis pu voir son nom au générique de La Vie ne me fait pas peur de Noémie Lvovsky ou encore C'est le bouquet de Jeanne Labrune.

Grand amateur de hip hop, Jean-Pierre Bacri avait souhaité inclure une chanson de NTM mais le groupe n'a pas donné son accord.

Spécialiste du cinéma d'Alain Resnais, François Thomas a étudié minutieusement le choix des chansons du film en se plongeant dans les archives de la scripte Sylvette Baudrot, et en a tiré un article. Il a notamment découvert que, dans le scénario initial, le film devait se clore avec la chanson des Rita Mitsouko C'est comme ça : quatre des personnages principaux en interprétaient chacun un fragment. Mais l'idée n'a finalement pas été retenue par le réalisateur.

Lambert Wilson fredonne dans le film C'est dégoûtant mais nécessaire, une chanson de René Koval, chanteur et comédien de théâtre très populaire dans les années 20. Dans le film suivant de Resnais, l'opérette Pas sur la bouche, le même Lambert Wilson, jouera le rôle d'Eric Thomson, un personnage qui lança la carrière de René Koval !

L'irruption des chansons n'est pas la seule forme de décrochage avec la réalité... Une longue scène de pendaison de crémaillère, réunissant les perosnnages principaux, se déroule dans la dernière partie du film. Et au bout de quelques instants, le spectateur a la surprise de voir défiler, en surimpression, des méduses ! Faut-il interpréter la présence, énigmatique et poétique, de ces méduses comme le symbole d'un certain flottement des personnages, la plupart traversant un état dépressif ?

Avant d'opter pour On connait la chanson, Alain Resnais avait envisagé d'intituler son film Les Maîtres chanteurs ou encore Chacun cherche son chez-soi.

Au début du film, on entend J'ai deux amours interprété par Josephine Baker : c'est la seule fois qu'une chanson survient sans être chantée (en playback) par un des personnages.