Et si la carrière toute entière d’un cinéaste était résumée par un seul film ? Cela vous semble impossible ? Pourtant, à y regarder de plus près, Les vikings regroupe tous les éléments fondateurs de la carrière de son metteur en scène et les caractéristiques de son œuvre. Son œuvre, parlons-en, justement ! Car Richard FLEISCHER est un cas un peu particulier dans l’industrie hollywoodienne. Il a su construire une vraie carrière, malgré les nombreux revers qu’il a essuyés. Mais le reproche lui a souvent été fait de manquer de personnalité pour tenir tête aux producteurs, et pour marquer durablement l’histoire de son art. Et pourtant…
Vous avez tous vu, au moins une fois, un film de Fleischer. Si, si, je vous assure ! Vous avez besoin d’une preuve, je le sens. Je vais donc vous citer quelques-uns de ses films les plus marquants ou ses plus grands succès et vous verrez qu’il a touché quasiment à tous les genres : Mr. Majestyk (1 974), avec Charles BRONSON, Mandingo (1 975), puissante dénonciation de l’esclavage dans les Etats-Unis de 1 840, Conan le destructeur (1 984), avec Arnold S… (celui-là même, son nom est trop long), L’étrangleur de Boston (1 968), avec un Tony CURTIS n’ayant rien à envier à l’Anthony PERKINS de Psychose (Alfred HITCHCOCK, 1 960) et des choix techniques et narratifs stupéfiants, Soleil vert (1 973), science-fiction avec Charlton HESTON, dénonçant avec plusieurs temps d’avance les méfaits de la malbouffe et, surtout, les risques liés à l’anthropophagie, qu’elle soit volontaire ou non, ainsi que la manipulation de la société par les classes politiques, 20.000 lieues sous les mers (1 954), adaptation étonnamment fidèle du roman de Jules VERNE avec une technique surprenante pour l’époque. Ceci n’est qu’un florilège sur la quarantaine de films que ce réalisateur signa. Il n’est donc pas étonnant que Les vikings ne soit pas qu’un film d’aventures, mais aussi un western pour ses enjeux dramatiques, un film historique avec de vrais drakkars construits spécialement pour l’occasion et le respect de certaines vérités, et un vrai drame à travers son triangle « amoureux ».
Pour ceux qui pensent que Fleischer est metteur en scène sans envergure, ni imagination, revoyez ce film et vous verrez l’intelligence des cadrages qui permettent tour à tour de jouir des magnifiques décors naturels, de profiter du jeu des (très) bons acteurs et des scènes de batailles du fort Lalatte (en Bretagne !) que Peter JACKSON a peut-être revu avant de filmer la bataille du gouffre de Helm dans Les deux tours (2 002) et vous aurez une idée de la maîtrise technique de ce véritable artisan du septième art. J’en veux pour preuve le duel entre Einar (Douglas) et Eric (Tony CURTIS) est un bijou de découpage et de montage. Ayant dû s’adapter aux conditions de tournage dangereuses, en haut du donjon du fort Lalatte, il ne faisait effectuer que deux ou trois ou mouvements à ses acteurs afin qu’ils ne se mettent pas en danger. Cela donne au final un tournage à 360°, d’un dynamisme assez surprenant pour l’époque et un duel à l’épée qui fait encore date.
Parlons maintenant un peu de « story telling », car Fleischer est un magnifique raconteur d’histoires. Il faut en effet savoir que Les vikings, au-delà du succès commercial qu’il a remporté, a bouleversé les codes du film d’aventures du fait de la précision de ses reconstitutions, de son héros joué par Kirk DOUGLAS, qui n’est pas véritablement un « gentil », et qui plus est, se voit mutilé au premier tiers du film. De vrais enjeux dramatiques, la petite histoire se mêlant à la grande : rien ne faisait peur à Fleischer !
Enfin, il ne faudrait pas passer outre la période de production, qu’elle soit pré ou post, qui gravite autour du tournage. Car, là aussi, cela résume bien la carrière du cinéaste, qui a vu comme tant d’autres des projets avortés et/ou récupérés par les producteurs. Fleischer avait une particularité : il n’aimait pas travailler dans le conflit. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est souvent passé pour un « yes man » auprès des critiques. Il savait faire les concessions nécessaires pour garder le contrôle de son film et que tout, ou presque, se passe bien sur le plateau. Les vikings ne fait pas exception à la règle. Il a dû faire face à la censure pour éviter les interdictions du code Hays. Le roman dont est adapté le script était assez… libidineux, mais un best-seller. Toutefois, il ne peut pas être adapté en l’état : trop de violence et de brutalité, ainsi que du sexe illégal (sic), comprenez en dehors des liens sacrés du mariage. Ca fait peur ! Puis, ce sera au tour de Douglas (producteur du film) de rejeter le scénario. Il le validera de nouveau une fois les dialogues modifiés car il était aussi la tête d’affiche. Il mènera la vie très dure au cinéaste durant le tournage remettant en cause en permanence ses décisions de mise en scène ou de direction de jeu. Et Fleischer de répondre systématiquement à sa vedette « Qu’est-ce que ça apporte ? » pour le faire taire. Malgré tout, la mécanique du tournage tournera rond.
Le film connaîtra un succès retentissant malgré les coupes dont il est victime en fonction des censures locales. Il reste à ce jour l’une des seules représentations fidèles de cette civilisation à l’écran et mérite d’être vu pour la crudité de ses actions et de ses dialogues. La promotion oubliera Fleischer au profit des stars du film : Douglas, Curtis, Ernest BORGNINE et bien sûr le somptueuse Janet LEIGH. Il a pourtant supporté le budget et les stars (dont un deuxième film avec Douglas ; il est le seul avec Kubrick).
Alors, toujours convaincus que ce film ne reflète pas la carrière toute entière de son auteur ? Profitez de la splendide version éditée par Rimini pour vous en convaincre et vous m’en direz des nouvelles.