Krzysztof Kielowski avait commencé son triptyque sur les trois valeurs républicaines de façon très convaincante avec "Trois couleurs – Bleu", pour ne pas dire sublime. En effet, ce film s’était révélé envoûtant, porté par une musique superbe de Zbigniew Preisner, l’interprétation à fleur de peau de Juliette Binoche, et l’ambiance un peu hors du temps. De quoi donner envie de découvrir le deuxième volet de cette trilogie qui a fait beaucoup parler d’elle… et couler beaucoup d’encre. Et en effet, "Blanc" commence fort, très fort en s’attardant sur un petit homme à l’apparence quelconque. Déjà, on doit constater l’excellence du jeu de Zbigniew Zamachowski dans ce rôle, car il réussit à faire prendre irrésistiblement le spectateur fait et cause face pour Karol : sa détresse, son désarroi, la situation qui lui échappe, tout cela est magnifiquement filmé, même si le plan où il s’assoit sur sa valise aurait pu être prolongé un peu plus pour signifier à quel point le monde venait de s’écrouler. Cela dit, le spectateur ressent sans peine ce que Karol vit tant la psychologie froide et désincarnée de Dominique à laquelle il est confronté est ahurissante. Une vraie douche froide à vous glacer le sang de stupeur ! Du côté de Julie Delpy aussi on reconnaîtra une belle maîtrise de son personnage tant elle parait épouvantablement froide, sans cœur. Même pas l’ombre de la moindre pitié. Elle est si convaincante que le spectateur se prendra même à détester cette femme, très belle au demeurant. Malgré tout, en dépit de toutes les vacheries dont il est victime, on comprend aisément que Karol s’accroche tant le réalisateur a su mettre en valeur la beauté angélique du visage impassible de cette femme par une lumière feutrée qui ne fait qu’éclairer son regard fixe et la délicatesse de son menton. Je viens de vous le dire, elle est très belle. Bon, perso, moi, quand je vois qu’une personne puisse faire preuve de malfaisance, de perfidie, de... de... raaaaaa j'en perds les mots ! Ben je la fuis. Mais les mystères de l’amour… tu parles d'une chance pffff !! Pour sûr, Kielowski sait filmer, et l’exemple nous en est donné par ces petites séquences données en début de film en alternance avec le déroulé de l’intrigue, des petites séquences montrant le parcours chaotique d’une valise circulant au gré des tracés labyrinthiques des tapis roulants aéroportuaires, comme si le cinéaste voulait laisser augurer le long chemin de croix qui attend Karol. Car oui, c’est un vrai parcours du combattant qui l’attend, précipité dessus qu’il est par une succession de faits qui s’enchaînent à un rythme effréné. Et ça commence par une déjection de pigeon. Mais où est l’égalité dans tout ça ? N’oublions pas que c’est censé être le fil rouge de ce film ! Eh bien on se le demande, même si le mot « égalité » est lâché très tôt dans le film, contrairement à "Bleu", où le mot « liberté » sera plus sous-entendu qu’autre chose. Sauf que dans le cas qui nous intéresse, le propos du cinéaste selon son propre aveu est que l’égalité n’existe pas. Allez donc fouiller sur le net pour voir son raisonnement. Cependant, comme dans le film précédemment cité, le discours ne sera aucunement politique. Quoique si on extrapole un peu… mais bon, ici la dissertation est centrée sur une destinée, en l’occurrence peu enviable. Pas du tout, même. La preuve, l’histoire se focalise sur Karol, devenu un homme insignifiant, un quelconque anonyme que personne ne voit, comme en témoigne cette bousculade donnée dans le dos par un malencontreux coup d’épaule sans même un mot d’excuse. Oui, il fait peine à voir et pourtant nous le suivons avec intérêt, sans doute poussés par cette curiosité malsaine de voir jusqu’où sa dégringolade va se faire tout en espérant que, muni de sa pièce de deux francs qui lui rappelle l’objet de sa motivation, il va se refaire, parce que nous ne pouvons malgré tout nous empêcher de penser qu’il ne méritait pas un tel traitement. Certes l’esthétique de ce deuxième volet n’est pas aussi léchée. Et pour cause ! Le blanc ne bénéficie pas d’une palette de variations aussi évoluée que le bleu. De ce fait, cette couleur se prête beaucoup moins aux recherches esthétiques. J’ignore si c’est pour compenser cela, mais Kielowski a eu la riche idée de d’aérer ici et là l’évolution de Karol par des petits caméos sur Dominique, comme si leurs destins étaient étroitement liés, pour le meilleur et pour le pire. Et puis arrive forcément la fin, à la fois forte et surprenante, avec à la clé une belle leçon : ne jamais sous-estimer quelqu’un. Par le rebondissement final, Kielowski parvient à obtenir son égalité : 1 partout la balle au centre. Enfin c’est ainsi que je le vois, et en cela je trouve le cheminement plutôt bien construit dans une Europe de l’Est en pleine mutation. Quoiqu’il en soit, il est certain que, malgré une photographie toujours aussi soignée, "Trois couleurs – Blanc" est très en dessous de son prédécesseur "Bleu". C’est pareil au niveau de la musique, quoique jolie tout de même et bien utilisée, notamment lorsque Karol vit une désillusion supplémentaire. Eh oui, malgré un début de très haut niveau qui ne manque pas de happer le spectateur dans la spirale infernale du personnage principal, le reste baisse en qualité immersive, ça c’est une certitude. Mais ça n’en fait pas pour autant un mauvais film, loin de là. 3,75/5 pour moi.