Le septième continent, premier film de la trilogie de la glaciation, est un tour de force. Absolument novateur, Michael Haneke propose un film qui, dans sa construction, pulvérise le conservatisme iconique du septième art, du moins dans la perception générale de ce qu'attend un spectateur moyen. Les scènes du quotidien se répétent à travers le portrait ennuyeux d'une famille bourgeoise autrichienne - pensons à la bourgeoisie flaubertienne auquel Haneke se raproche - où la propriété et l'objet sont un rempart au vide civilisationnel. C'est acheter sa vie et le confort au prix de la médiocrité. Les personnages, désincarnés, illustrent un mode de vie de masse à l'occidental, européen, dans son incapacité à trouver le bonheur dans une société matérialiste. Mais la force du film, c'est dans sa volonté de ne rien expliquer : nous sommes face à notre propre vide existentiel, vide qui se termine dans le plus grand drame. Bouleversant, Haneke n'apporte aucune réponse à son film, à l'acte final, décisif. C'est une relecture de la tragédie grecque, notre tragédie moderne. La réponse, si chacun la trouve en lui, est déjà un acte de réflexion sur soi même. Refuser de le regarder, c'est ne pas chercher à comprendre, à regarder tel un miroir notre propre contemporanéité, soit, et c'est bien le pire, de la refuser comme réalité partielle. L'argent, la famille, le relation humaine, tout est détruit dans un acte incompréhensible sur le plan de l'objectivité. Car, comme dans l'esthétique du Nouveau Roman, Haneke ne prétend pas à l'objectivité narrative, balzacienne, où tout est expliqué artificiellement. La vérité est plurielle et c'est ce qui la rend encore plus terrifiante. Le septième continent, en plus d'être un chef d'oeuvre, est aujourd'hui, à l'heure noire de notre crise démocratique en Europe, un film d'une grande actualité. C'est beau, glaçant, terrifiant. C'est, tout simplement, l'oeuvre d'un des plus grands cinéastes de notre temps.