Michael Haneke aime le choc, la froideur de l'émotion. Alors quand il réalise un film, même si c'est son premier long pour le cinéma, il y met de toute sa passion, et développe un thème qui lui cher : le mal être de la famille bourgeoise. Le septième continent est d'ailleurs le premier volet de ce qu'Haneke appelle la trilogie de la glaciation émotionnelle. Inutile de vous faire un dessin pour vous expliquer l'atmosphère du film. Haneke parvient à vous rendre mal à l'aise, tant la mise en scène, dépourvue du moindre sentiment, est glaciale, et tant le sujet devient de plus en plus malsain. Très peu d'explications quant aux raisons exactes ayant poussé cette famille entière à se couper du monde
et se suicider quasi collectivement.
Au sein de cette famille règne un malaise constant, une perpétuelle monotonie, installée par l’enchaînement saccadé des scènes, conférant au rythme un caractère routinier, mais aussi par les faits et gestes des personnages, qui dans toute une première partie, se répètent avec une précision mécanique.
Haneke évoque également l'influence des médias dans la famille : la télévision joue alors un rôle important, et occupe une très large place dans le film, puisque les trois membres s'agglutinent constamment devant elle. Alors que leurs attachements se dégradent peu à peu (ils coupent les ponts avec tout ce qui les retient au système), le seul sentiment d'affection qu'ils éprouvent est destiné à de vulgaires poissons d'aquarium, qui semblent longtemps tourner en rond dans leur bocal, s'ennuyer eux aussi de leur vie, tout comme ce père, cette mère, et cette jeune fillette, tous isolés dans leur ennui et la banalisation de leur vie.
Enfin, il y a cette image, qui se répète à plusieurs reprises, celle d'un paysage paradisiaque, qui change visiblement de la vision pessimiste qu'ont cette famille du monde qui les entoure. Une vision qui se restreint d'images en images, puisqu’au fur et à mesure, il se crée une restriction, une barrière entre ce monde et eux. Ils ne le voient plus qu'à travers des vitres (de leur voiture, de leur maison, ou de leur télévision). Haneke a donc construit une famille emprisonnée entre les murs de la monotonie, une famille sans vie réelle, sans points d'attaches,
presque déjà détruite, évaporée. Et c'est dans la froideur la plus absolue que le cinéaste les emporte, les torture, et finit par les faire disparaître.
La caméra se pose toujours au bon endroit et au bon moment, faisant fréquemment du hors-champ un choix judicieux pour souligner la distance entre le spectateur, témoin de l'horreur, et les protagonistes. Il se dégage alors une énième froideur, amplifiant justement cette glaciation émotionnelle du récit.
Un premier film extrêmement travaillé, classé au patrimoine des films à réflexion, et au panthéon des oeuvres chocs. Un grand exercice de mise en scène, très dense, très complexe, prouvant tout le talent de Michael Haneke. Cinéphiles : à vos marques, prêts, Hanekez !
Plus de critiques, et de papiers ciné sur http://lestempscritiques.wordpress.com