Comme François Truffaut, Claude Sautet qui fut l’un des plus importants réalisateurs de sa génération semble un peu oublié. Sur près de 40 ans et quatorze longs métrages, celui qui fut d’abord assistant puis scénariste aura après avoir fait une courte incursion dans le film de genre (policier), été le parfait observateur des mœurs de la classe bourgeoise sous les ères pompidoliennes et giscardiennes. Après le relatif échec de « Garçon ! » en 1983 qui lui fait soudainement penser qu’il est devenu « ringard », Claude Sautet s’oriente vers une trilogie intimiste où, se sentant vieillir, il fait le point sur son parcours de vie à travers ses engagements et ses convictions. « Nelly et Monsieur Arnaud », son dernier film qui lui apportera un second César du meilleur réalisateur consécutif tout à fait mérité, est sans aucun doute le plus personnel. Michel Serrault qui remplace Yves Montand et Michel Piccoli, ses alter ego de sa période la plus féconde, est Monsieur Arnaud, un ancien juge reconverti dans les affaires qui doit affronter la solitude après une vie qu’il dira lui-même avoir passée à la contempler à défaut d’avoir su la maîtriser comme il l’aurait dû ou voulu le faire. Tentant négligemment de rédiger ses mémoires, il rencontre fortuitement Nelly, une jeune femme (Emmanuelle Béart) à la croisée des chemins qu’il va convaincre de venir l’aider à dactylographier ses écrits mais aussi et surtout sans que cela soit dit, lui redonner un temps l’illusion d’une jeunesse qu’il sait désormais destinée à ne plus exister que sur papier. Très finement et avec sensibilité, le scénario écrit pas Sautet et Jacques Fieschi, déjà présent sur ses deux précédents films, tisse la relation qui s’installe entre Nelly et Monsieur Arnaud, tentant chacun de se maintenir sur le fil fragile d’un sentiment amoureux naissant, présenté comme impossible. L’équilibre précaire est toutefois maintenu, la jeune femme consciente du désir non-dit qu’elle provoque, prenant le soin de ne jamais complétement refermer la porte à un amour qui cherche tous les chemins de traverse pour s’exprimer sans jamais se trouver face au mur qui fatalement se dresserait devant lui si le fossé générationnel venait à être brutalement franchi. On reconnaît bien là, la pudeur de Claude Sautet souvent décrite par ses acteurs comme étant l’un de ses traits de caractère essentiels qu’il tentait de masquer derrière ses coups de gueule légendaires. Dans ce grand appartement où le temps est en suspension pour deux êtres en proie à un dilemme qui les réchauffe autant qu’il les intimide, Michel Serrault et Emmanuelle Béart sont prodigieux de justesse. Sans doute eux-mêmes sensibles aux tourments de l’âme et aux douleurs dont sont remplies nos vies. Quatre ans plus tard, Claude Sautet fera ses adieux aux choses de la vie après les avoir si bien décrites. Son dernier film était un magnifique testament où il parvenait enfin à livrer un peu de lui-même. Pour un artiste, partir en beauté dans toute la maîtrise de son art n’est pas si courant.