«La Notte» (1961) est le volet central de la trilogie d'Antonioni sur la crise du couple moderne. Et, à ce titre, il assume une fonction de transition entre le lyrisme de «L'Avventura» et l'abstraction de «L'Eclisse». Le premier film nous montrait des représentants de la haute bourgeoisie italienne en rupture avec les repères traditionnels du monde ancien. Ils étaient comme étrangers sur le site superbe de l'île de Lisca Bianca ou encore dans les décors fastueux de la ville sicilienne de Noto, qui les submergeaient par une beauté à l'harmonie de laquelle ils ne pouvaient plus participer. «La Notte» nous les présente cette fois dans le décor moderniste de la Milan capitaliste en plein expansion économique, et qui devient comme le symbole de leur aliénation. Milan signifie en effet ici une modernité à l'expansion de laquelle ils travaillent et qui leur renvoie, comme un miroir, l'image de leur déshumanisation. Ils sont devenus incapables d'assumer leurs relations amoureuses dans un univers futile, cynique, sans finalité, où tout est gouverné par le paraître, l'avoir et le pouvoir. «L'Eclisse», le plus terrible et pessimiste des trois, mais leur aboutissement logique, nous montrera le triomphe ultime des choses inertes sur les hommes (le lampadaire) dans un monde déshumanisé livré aux seules forces matérielles (la bourse), et qui a tué l'amour. Intermédiaire, «La Notte» n'a plus la beauté lyrique de «L'Avventura» mais prends le chemin du constructivisme abstrait de «L'Eclisse», sans pour autant encore vider, comme le fera ce dernier, les géométries urbaines de leur présence humaine. Je ne m'étendrai pas sur la perfection de la mise en scène ni sur la beauté des images: le film appartient en effet à la période créatrice la plus puissante du réalisateur et, s'il n'a pas encore la radicalité du dernier membre de la trilogie, il n'en constitue pas moins une étape nécessaire vers celui-ci. Indispensable donc!