La critique impeccable de Arnaud bordas :
Laissez tomber tous les remakes récents des grands classiques de l’horreur made in seventies (Massacre à la tronçonneuse, L’Armée des morts…) et leurs avatars édulcorés (Détour mortel), oubliez le gore racoleur et marketé aux petits oignons du père Eli Roth, n’essayez même pas de vous replonger dans le film original : La Colline a des yeux version 2006 va foutre tout le monde à l’amende et s’imposer rapidement comme le parangon du survival horrifique moderne. Croyez-nous sur parole : rarement on aura vu un morceau de pelloche aussi sauvage et jusqu’au-boutiste, qui nous rappelle à point nommé que le genre ne peut se passer d’une approche frontale et viscérale. En attendant de revenir sur ce film-monstre en compagnie de son réalisateur, et sans trop dévoiler les scènes d’anthologie de ce shocker survolté, voici donc un premier aperçu de la bête, qui sortira chez nous au tout début de l’été. Bienvenue dans un monde cruel…
Après s’être fait la main en tant que réalisateur de seconde équipe sur deux films de son père Alexandre Arcady (Là-bas… Mon pays et Entre chiens et loups) et sur un premier film plutôt discret (Furia), Alexandre Aja avait fait son petit effet avec le très glauque Haute tension, une production Luc Besson. Il devait d’ailleurs enchaîner en réalisant Banlieue 13, toujours pour le compte du mogul français. Mais le destin en a décidé autrement. Remarqué dans de nombreux festivals internationaux et bénéficiant d’une sortie en salles aux Etats-Unis, Haute tension attire les regards d’Hollywood sur le jeune réalisateur. Wes Craven, pape contesté et contestable du film d’horreur, contacte Aja et lui propose le remake d’un de ses titres de gloire, le survival La Colline a des yeux, tourné en 1977. Un film qui a fait illusion durant une bonne partie des années 80 mais qui ne représente plus grand-chose aujourd’hui, si ce n’est une sorte de gros Z ricain typique de son époque. En tout cas, si les remakes de Massacre à la tronçonneuse et Zombie ne semblaient pas a priori indispensables, celui d’un film comme La Colline a des yeux ne prêtait certainement pas le flan à la critique, le potentiel de l’histoire originale n’ayant jamais été transcendé à l’écran. Aja s’est donc retrouvé avec un boulevard créatif devant lui, d’autant plus qu’à l’instar d’un Florent Siri sur Otage, il a pu embarquer dans son trip hollywoodien ses plus fidèles collaborateurs, comme son scénariste Grégory Levasseur ou son chef opérateur Maxime Alexandre.
Ce qui frappe de prime abord dans le film d’Aja, c’est sa franchise. Cette Colline-là n’oublie jamais ses racines, celles du film d’horreur et du cinéma bis, et ce de sa scène d’ouverture bien énervée, qui annonce la couleur en nous présentant la famille de montagnards dégénérés dans ses basses œuvres jusqu’à son casting hautement sympathique qui aligne les B-vedettes typées (Ted Levine, Billy Drago, Kathleen Quinlan…). Mais en même temps, le film fait montre d’une belle capacité à prendre le genre au sérieux, tout d’abord par l’emploi d’une violence graphique extrême dont ne peut décemment pas se passer un vrai survival, et ensuite en y imprimant un traitement qui ne capitalise pas forcément sur ce qui a déjà été fait avant et qui affirme crânement le réel potentiel artistique d’une telle entreprise (malgré les bataillons de tâcherons qui ont peu à peu déprécié le genre au cours des dernières décennies). Photo soignée, décors à la fois réalistes et oppressants (un coin perdu d’Amérique reconstitué dans le désert marocain !), musique au rôle primordial (on y reviendra), scénario qui se permet d’être intelligent sans être démonstratif… Si la violence hardcore de Haute tension s’avérait être en léger décalage par rapport à un propos plutôt maladroit, ici, Aja maîtrise parfaitement sa narration et décuple la puissance de sa sauvagerie visuelle en l’inscrivant à l’intérieur de thématiques aussi discrètes que percutantes. La violence du peuple américain est ici abordée sans détours mais jamais envisagée à l’intérieur d’une dichotomie facile et moralisatrice opposant les barbares aux civilisés. En fait, elle est placée au cœur même de la famille de yankees moyens, où le père affirme haut et fort ses convictions républicaines devant le dégoût de son gendre pour les armes à feu. On ne dévoilera pas ici le destin des personnages mais sachez simplement qu’à l’instar d’Un justicier dans la ville et des Chiens de paille, la pulsion vengeresse et régressive ne viendra pas forcément de là où on l’attendait.
Sans une once d’humour, La Colline a des yeux malmène ses héros jusqu’aux frontières du soutenable, faisant se fissurer le cocon familial sous les coups de boutoir du refoulé, ici matérialisé dans la figure des rebuts de la civilisation et du progrès. Peu à peu, les grandes étendues sauvages filmées en Scope 35 mm (adios le 16 mm de Wes Craven, gage un peu trop facile d’authenticité esthétique) s’amenuisent, les ombres s’étendent, les cadres se resserrent, les axes de caméra se font plus agressifs… Et le projet enthousiasmant d’Aja de se dévoiler progressivement : là où ses confrères préfèrent le plus souvent envisager le survival sous l’angle unique d’un réalisme cradingue et dérangeant, le réalisateur français y applique en sus un traitement épique qui explose particulièrement dans la dernière partie de son film. Une ultime demi-heure d’une sauvagerie inouïe, où la musique quasi-héroïque du duo Tomandandy et le filmage iconique en diable d’Aja confèrent à la vendetta du héros un aspect galvanisant qui contraste insidieusement avec les débordements d’ultra-violence qui s’affichent à l’écran, renvoyant ainsi le spectateur à l’ambiguïté profonde du sentiment de vengeance, aussi moralement condamnable que viscéralement cathartique.
La copie qui sortira sur nos écrans fin juin (et sur les écrans américains dès le 10 mars) est la version coupée, le montage uncut étant destinée à l’exploitation en DVD (environ cinq minutes supplémentaires, composées essentiellement de rajouts gore et de quelques extensions de scènes). Pourtant, tel quel, La Colline a des yeux est déjà un monument de violence barbare, le découpage nous laissant largement le temps de voir les chairs ouvertes et les dégâts provoqués par les différents coups de hache et autres objets offensifs. Là encore, Aja ne cède en rien au style épileptique très en vogue dans les films d’horreur actuels (cf. The Descent, entre autres), refusant le spectacle d’une violence surdécoupée et du coup complètement désamorcée. Ici, l’horreur est omniprésente et protéiforme (psychologique, visuelle, sensitive…), mais surtout, elle est palpable, physique et donc terriblement choquante. A l’arrivée, La Colline a des yeux est sans doute l’un des meilleurs films d’horreur de ces dernières années, et il se trouve que c’est un Français d’à peine 27 ans qui l’a réalisé. Et nous, du coup, on attend avec une impatience non feinte son prochain opus, The Waiting, qui sera à nouveau une production Wes Craven et qui racontera les déboires d’une mère hantée par le fantôme de son enfant décédé. Chauffe Alexandre, chauffe !