Avec Batalla en el cielo, Carlos Reygadas traite du "conflit d'un être humain, tiraillé entre ses actions et sa nature." Pour cela, il part d'un phénomène courant au Mexique, les enlèvements, puis tente d'apporter des solutions en s'intéressant aux corps et à la religion. Pour ce qui est du côté charnel, le réalisateur raconte : "Je montre la chair, les cheveux, les liquides et la lumière. Et le film tourne autour de ce désir de sentir, de connaître, d'être là, d'être conscient." A la question de savoir pourquoi la religion joue un rôle central dans le film, il explique : "Au Mexique, le fondement du catholicisme est le rituel plutôt que la spiritualité. Notre-Dame de Guadeloupe est considérée comme la mère de tous les Mexicains, son amour est inconditionnel et nous, Mexicains, sommes bien contents de rester à jamais ses enfants. Le pélerinage dans le film est ainsi plus un fait social que religieux."
Batalla en el cielo marque la seconde collaboration du réalisateur Carlos Reygadas avec l'acteur Marcos Hernández après Japón. Il raconte la naissance de leur amitié, leurs retrouvailles et comment il a immédiatement su qu' Hernández était fait pour jouer dans son nouveau film : "Marcos Hernández a travaillé avec mon père au Ministère de la Culture. Je lui ai demandé de jouer un petit rôle dans Japón, et c'est alors que j'ai pensé à lui pour mon nouveau film. Il était parfait pour incarner ce personnage tourmenté par un conflit interne car j'avais besoin de quelqu'un d'introverti, doté d'une forte présence et d'un vrai mystère. J'aime prendre les comédiens de mes films comme ils sont, comme s'ils étaient une lumière dans l'eau, un arbre ou une belle peinture. C'est la caméra qui vient ensuite capter l'intérieur des êtres. Marcos ne représente rien, il se contente d'être. Mon comédien idéal."
Le réalisateur Carlos Reygadas travaille de manière originale avec ses acteurs : il ne leur fait pas lire le scénario de ses films ! Il explique : "Les acteurs de Batalla en el cielo n'ont pas lu le scénario et ne connaissent donc pas les intentions de leurs personnages. J'aime obtenir le jeu le plus naturel possible -ou plus précisément l'absence de jeu. Dans le cas d'Ana, j'ai même modifié le rôle en fonction de sa personnalité et de sa façon d'être. Quand quelque chose m'attire chez une personne, je construis le personnage autour de ce qui a déclenché l'attraction. La matière humaine prime. J'aime par ailleurs les situations imprévues et je suis souvent surpris par la spontanéité des amateurs."
L'une des scènes-choc de Batalla en el cielo est une fellation non-simulée filmée en gros plan. Le réalisateur Carlos Reygadas revient sur cette scène et en donne son interprétation : "Voir une jolie jeune femme aisée pratiquer une fellation à un homme âgé et pauvre peut réellement déranger une partie du public. Superficiellement, le choc est esthétique, mais le tabou est en fait plus profond. Il réside dans la différence sociale. Si l'homme était un riche trafiquant de drogues, personne ne s'en étonnerait, la fille passerait pour une prostituée. Je ne provoque pas gratuitement mais pour déclencher des sensations franches chez les spectateurs."
Carlos Reygadas reste énigmatique sur la signification du titre Batalla en el cielo : "C'est ironique, car la ville de Mexico est plus proche de l'enfer que du ciel. Tout comme pour Japón, le titre de mon film reste ouvert. On peut s'imaginer qu'il évoque la lutte de Marcos dans une ville infernale ou bien la bataille des dieux grecs, là-haut, qui se disputent le destin des hommes ou bien... Il y a autant d'interprétations que de spectateurs."
Carlos Reygadas évoque les références de Batalla en el cielo : "Avec ce film, je me sentais libre de toute influence. Pourtant, pendant le tournage, j'ai songé à Roberto Rossellini et à sa façon de travailler dans Rome ville ouverte. Il construisait une fiction tout en se servant de la réalité d'après-guerre. Visuellement, je pensais à la peinture du Titien et du Tintoret, à leurs sujets et à leurs couleurs."
Après Japon, qui avait décroché une mention spéciale à la Caméra d'Or en 2002, le nouveau film du trentenaire mexicain Carlos Reygadas est de retour à Cannes en 2005, où il figure en compétition officielle du Festival.