L'Ivresse du pouvoir est présenté en compétition au Festival de Berlin en 2006.
Si le film ne traite pas directement du dossier Elf, le spectateur attentif s'amusera de quelques clins d'oeil à cette retentissante affaire politico-judiciaire. Dans L'Ivresse du pouvoir, le juge d'instruction s'appelle Jeanne Charmant (nom qui rappelle forcément celui d'Eva Joly, en charge du dossier Elf), et le patron mis en examen est interprété par François Berléand, comédien à la barbe grisonnante, dont les traits rappellent singulièrement ceux de l'ex-PDG du groupe pétrolier Loik Le Floch Prigent (l'un comme l'autre sont d'ailleurs affectés d'une maladie de peau). Ajoutons que le cinéaste a confié le rôle d'un homme politique impliqué dans cette affaire à... Roger Dumas (Roland Dumas n'est pas loin...). De même, le personnage qu'incarne Philippe Duclos a pour patronyme Holéo, terme qui évoque le secteur d'activité de la société Elf.
A propos des liens du film avec l'affaire Elf, le cinéaste explique : "On s'est (...) arrangé pour ne nommer aucune personne réellement existante : il s'agit donc d'un universentièrement fictif ! Pour autant (...) le film laisse entendre qu'il existe quand même, parmi ceux qui ont le pouvoir, certains qu'on pourrait qualifier de racailles et qu'on pourrait nettoyer au Kärcher (...) Quand j'ai décidé de faire ce film, j'ai commencé par dresser une liste des pièges à éviter, et notamment celui de l'identification immédiate et celui de l'imaginaire absolu. Car, de toute évidence, si le film n'avait aucun rapport avec la réalité, il n'aurait guère d'intérêt... En fin de compte, ce qui m'intéressait était de prouver la vraisemblance des événements qu'on relate par une réalité proche." Le film s'ouvre d'ailleurs par un malicieux avertissement : "Toute ressemblance avec des faits réels et des personnages connus serait, comme on dit, fortuite..."
Après avoir joué pour Chabrol les criminelles (Violette Nozière, La Cérémonie, Merci pour le chocolat), Isabelle Huppert interprète cette fois la juge. Si Jeanne Charmant peut par certains aspects rappeler Eva Joly, l'actrice affirme : "Qu'il s'agisse de personnages forts existant dans un imaginaire collectif comme Madame Bovary, ou de personnages totalement inédits comme celui de Rien ne va plus, on s'approprie très vite les rôles au point qu'on en oublie d'où ils prennent leur source. C'est la seule manière de se libérer d'une représentation imposée au profit d'une représentation imaginaire qui apportera bien plus de réalité au "personnage"." A propos de cette nouvelle collaboration avec son cinéaste-fétiche, la comédienne ajoute : "Étrangement, il ne m'a jamais autant parlé que sur ce film ! Il était d'une acuité particulière et me donnait de petites indications qui changeaient des précédents tournages."
L'Ivresse du pouvoir marque une nouvelle étape dans la fructueuse collaboration de Claude Chabrol avec Isabelle Huppert. Le cinéaste dirige la comédienne pour la première fois dans Violette Nozière, avec à la clé un Prix d'interprétation au Festival de Cannes en 1978. Ils se retrouvent dix ans plus tard pour Une affaire de femmes, avec un nouveau prix pour la comédienne, cette fois la Coupe Volpi à Venise. En 1991, le cinéaste la choisit pour incarner sa Madame Bovary, une composition récompensée à Moscou. Huppert forme en 1995 avec Sandrine Bonnaire un tandem de criminelles dans La Cérémonie (elle est saluée par un deuxième Prix d'interprétation à Venise, ainsi qu'un César) et en 1997 avec Michel Serrault un duo d'arnaqueurs dans Rien ne va plus (un film couronné à San Sebastian). L'actrice engrange de nouvelles récompenses (un prix à Montréal, une Lumière de la presse étrangère) grâce à son rôle de PDG perverse dans Merci pour le chocolat, Prix Louis Delluc 2000.
Claude Chabrol précise ses intentions : "Je n'ai pas cherché (...) à dénoncer des événements connus de tous, mais plutôt à montrer quelles peuvent être les répercussions sur l'esprit humain d'un pouvoir, quel qu'il soit, et jusqu'où il peut entraîner les individus (...) Ce qui m'intéressait dans la position du juge d'instruction, c'est que -en théorie- il a tout pouvoir, alors qu'en réalité il n'a que le pouvoir qu'on lui donne. Et cette réalité est vraie à tous les échelons : l'ensemble des personnages sont ivres de pouvoir, même si cela ne se voit pas d'emblée."
François Berléand est un ami de longue date d'Isabelle Huppert. A l'époque de la sortie des Les Soeurs fâchées (dans lequel les deux comédiens étaient mari et femme), il évoquait cette relation privilégiée : "(...) je la connais depuis que nous sommes petits, confie-t-il. "Nous allions sur la même plage à Saint-Jean-de-Luz et j'ai joué avec les soeurs Huppert quand nous avions aux environs de douze ans. Nous sommes devenus très liés quelques années plus tard. J'avais environ dix-huit ans, j'habitais encore chez mes parents. Et lorsque nous étions au théâtre ensemble, nous nous racontions nos histoires. Malgré cette approche personnelle, je suis toujours impressionné lorsque je la vois jouer."
A propos du titre, L'Ivresse du pouvoir, Claude Chabrol note : "Bien entendu, le titre du film s'applique également à Jeanne : elle poursuit un idéal de justice, mais le pouvoir qu'elle incarne la grise. Ne dit-elle pas avec jubilation que le juge d'instruction est le personnage le plus puissant de France ? A l'inverse, je voulais que Humeau soit assez pathétique, surtout lorsqu'on le découvre cloué à son fauteuil à l'hôpital... Pour moi, l'idéal était qu'à la fin du film, les deux personnages aient pitié l'un de l'autre. C'est à ce moment-là qu'elle comprend l'inanité de toute l'affaire, tandis que lui l'a compris par la force des choses, en prenant des coups de bâton sur la tête. Elle prend conscience du fait que le pouvoir est à coulisses et qu'il en reste toujours assez au-dessus du personnage le plus puissant qui soit..."
Claude Chabrol revient sur le travail de préparation : "J'ai consulté les coupures de presse et les ouvrages publiés à l'époque de l'affaire. Mais comme je me suis retrouvé plusieurs fois face à des articles présentant des versions contradictoires, je prenais celle qui m'arrangeait le plus pour les besoins du scénario. C'est ce qui correspond, à mon sens, au travail de tout bon historien - et c'est d'ailleurs pour cela qu'il n'y a jamais de certitude en histoire (...) Nous avons fait plusieurs repérages au Palais de Justice pour capter des détails qui ont leur importance, comme le fait que le juge d'instruction -ce personnage si puissant- ne passe pas par l'escalier principal, mais par un escalier latéral, ou encore que le bureau du juge n'est pas très reluisant. J'ai également revu Délits flagrants de Raymond Depardon pour éviter de commettre trop d'erreurs, et j'ai fait valider le film par la doyenne des juges d'instruction qui nous a donné sa caution."
Comme dans nombre de ses films précédents, on retrouve plusieurs proches de Claude Chabrol au générique de L'Ivresse du pouvoir. Le rôle de Félix, neveu bon vivant et dilettante, est tenu par le fils du cinéaste, Thomas Chabrol, qui tourne pour la douzième fois avec son père (si on compte un téléfilm de la série Les Dossiers de l'inspecteur Lavardin en 1989). Son autre fils, Matthieu, a composé la musique du film (il s'agit de leur 18ème long-métrage en commun). Par ailleurs, depuis de nombreuses années, la scripte de ses films n'est autre que son épouse, Aurore Chabrol, et c'est la fille de celle-ci, Cecile Maistre, qui est assistante à la mise en scène.
Si Claude Chabrol travaille en famille, il aime aussi faire appel à des comédiens qu'il a déjà dirigés, même si on compte quelques nouveaux venus, et non des moindres, de François Berléand à Patrick Bruel en passant par Marilyne Canto. L'Ivresse du pouvoir ne déroge pas à la règle : en dehors d'Isabelle Huppert, on retrouve ainsi Robin Renucci (un des héros de Masques en 1987) et Jean-François Balmer, mari de Madame Bovary, qui tourna aussi dans Le Sang des autres et Rien ne va plus. Citons également, parmi les grands seconds rôles, Roger Dumas et Pierre Vernier, qui en sont à leur cinquième collaboration avec le metteur en scène, ou encore le greffier Yves Verhoeven (sixième long métrage en commun). Derrière la caméra, on compte aussi plusieurs habitués : la scénariste Odile Barski, complice sur cinq longs métrages depuis Violette Nozière, le chef-opérateur Eduardo Serra (cinq films) et, last but not least, la monteuse Monique Fardoulis (24 longs métrages !)
Au départ, Claude Chabrol avait souhaité intituler son film La Comédie du pouvoir. Mais un roman de Françoise Giroud, paru en 1977, portait déjà ce titre. Voilà pourquoi le cinaste a opté pour L'Ivresse du pouvoir.