Je fais partie de la secte des nombreux admirateurs d'Arto Paasilinna ("Le lièvre de Vatanen" a été vendu à 160 000 exemplaires en France), et c'est avec une curiosité mêlée de crainte que je suis allé voir ce film, en me demandant comment on pouvait bien traduire à l'écran un auteur capable de dire tant en si peu de mots, comme cette phrase de la première page : "Ils traversaient en crabe la splendeur du soir, la tête rentrée, butés, l'esprit tendu, sans même s'apercevoir de tout ce que leur course avait de misérable."
Mes craintes se sont avéré justifiées, et disons le tout net, Marc Rivière adaptant Paasilinna, c'est un peu comme si Josée Dayan mettait en scène Jean Echenoz. Premier choix discutable : la transposition de l'histoire de la Finlande au Québec, peut-être justifiée par un casting francophone. Définniser "Le Lièvre de Vatanen", c'est lui enlever une grande partie de son sel (Ce n'est pas un hasard si le moins bon des romans de Paasilinna est "Prisonniers du paradis", qui se passe en Mélanésie), car plus finlandais, tu meurs, ou alors tu es chez Kaurismaki.
Dans le livre, Vatanen rencontre le commissaire en retraite Hannikainen, qui explique sur neuf pages savoureuses, preuves à l'appui, qu'un sosie a remplacé le president Kekkonen en 1969. Et la bureaucratie tatillonne et empêtrée dans ses contradictions, les beuveries à la vodka au sauna, le sacrificateur du Ruisseau-à-la-con, l'incursion en Union Soviétique à la poursuite d'un ours, le débat juridique pour savoir si on peut juger un lièvre, tous ces évènements absurdes, et donc tellement finlandais, manquent cruellement au film de Marc Rivière.
Mais le contresens le plus important porte sur le lièvre lui-même. Dans le roman, il est avant tout un révélateur de la transformation qu'opère Vatanen. Il n'est qu'un lièvre, et même un levraud ; et quand on lui prête des sentiments, ce n'est qu'une anthropomorphisation projetée par son maître - ou par Paasilina. Alors que dans le film, il est tantôt une peluche disneyenne, et tantôt une réincarnation du lapin tueur de "Monty Python, Sacré Graal". La force du récit de Paasilinna réside dans sa véracité, qui rend crédible l'improbable ; Marc Rivière a esquivé cette dimension, préférant faire appel au fantastique, renforcé par des effets de ralentis et de bruitage dignes d'un téléfilm allemand - ce qui a le mérite de ne pas jurer avec le jeu de Christophe Lambert. à l'unisson de celui de Horst Tappert.
Alors, il reste une version édulcorée, light, de ce récit foisonnant, qui se laisse regarder avec pas mal d'ennui, et quelques pointes d'intérêt, comme l'apparition de François Morel en prédicateur fou. Mais si vous voulez véritablement rentrer dans l'univers de Paasilinna, lisez ou relisez "La Cavale du Géomètre", "Petits Suicides entre Amis" ou "Le fils du Dieu de l'orage".
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