Ce film est un film politique: alors que l'on voudrait se laisser bercer par le beau noir et blanc et la mélancolie opiacée qui teinte ce film il faut aller creuser, explorer le fond de cette oeuvre exigeante, refusant la facilité. C'est un dialogue qui s'établit entre le cinéaste et le spectateur, entre les époques, le vieux Garrel et son fils, flamboyant. Et lentement, le film déroule son fil: en un interminable plan statique de 3 minutes sur les manifestations, Garrel éteint les feux de la révolte ; la fumée, métaphore des illusions de François, jeune homme tenant lieu de héros, quitte les barricades et des voitures carbonisées pour devenir celle de l'opium, d'une bande d'amis-plus-ou-moins, d'une bohème un peu factice. Le temps de 4 chapitres, nous est peint un tableau d'un poète traversant la vie: la révolution dans un premier temps, puis l'amitié, l'amour. Refusant le manichéisme, les affrontements, c'est un subtil voyage que ce film nous offre à travers les rêves du jeune François que l'on verra non pas s'écrouler mais plutôt s'évaporer, s'envoler comme l'omniprésente fumée. Les amants réguliers, ce sont ces jeunes corps qui tentent de se persuader d'amour fou mais qui ne font que se rencontrer au hasard et frénétiquement, parfois plus régulièrement que d'autres. Au fil du récit, les groupes s'étiolent, se dissolvent, des foules d'émeutes en colère nous passons à la bande d'amis puis au couple, rien d'étonnant alors à ce que le film finisse sur François, seul. C'est après un dernier songe que celui-ci s'éteindra, vidé de rêves et d'illusions perdues comme vidé de son sang.
Le cinéaste dépeint un vide, léger, inconstant chez de très jeunes héros qui cherchent à se voir révolutionnaires, cercle d'artistes écorchés vifs, amoureux transis avec un enthousiasme au final un peu creux. Le piano de la bande-son, poétique et délicat aux premiers accords devient peu à peu la musique monotone d'une vie sans relief. Mais il porte en même temps sur cette vacuité un regard tendre et un peu nostalgique, avec l'air de dire qu'à 20 ans on peut croire que l'on sait tout de la vie, croire que l'amour dure la vie entière, croire que l'on va changer le monde, croire que l'on peut passer sa vie entière à danser, croire qu'une nuit durera éternellement (voir la scène, magnifique, sur un morceau des Kinks).
Un film hermétique, abscons au premier abord mais réellement SOMPTUEUX pour peu que l'on prenne la peine de l'apprivoiser.