Film sur la culpabilité, la douleur et le deuil, "Snow Cake" parle surtout du rôle et du pouvoir des mots. A la fois prison et protection pour Linda, vecteur d'une affirmation pour Vivienne, ce sont surtout leur déficit et leur difficulté à venir qui caractérisent Alex. C'est parce qu'elle repérait les personnes dont elle suspectait la parole refoulée que Vivienne a abordé Alex. Et c'est peut-être parce qu'il commençait à succomber au charme des mots qu'elle prononçait qu'il a manqué d'attention et n'a pas pu anticiper la trajectoire du camion.
Un des rares moments de partage vrai entre Linda et Alex a pour cadre une partie de scrabble, selon ses règles à elle, qui autorisent les inventions lexicales à partir du moment où on leur donne vie au travers d'une histoire. Et si les mots se substituent à l'émotion chez elle, ils ont aussi le pouvoir de démasquer les conventions hypocrites : "Je n'ai pas perdu Vivienne, elle est morte", rétorque-t-elle à une voisine insupportable (un tantinet trop, d'ailleurs).
Une telle histoire est en permanence sur le fil du rasoir, et la distance entre émotion et racolage est bien mince. A part une scène (celle où Linda danse dans son salon au milieu de la veillée mortuaire et où on nous montre inutilement Vivienne qui accompagne sa danse), Marc Evans a su ne jamais franchir cette limite. Cela repose sur une sobriété des effets : pas de musique autre que celle qu'entendent les personnages, alternance de scènes graves et de moments plus légers, économie de mouvements de caméra pour laisser l'action exister.
Cela repose surtout sur la performance des acteurs. Alan Rickman parvient à décliner toute une palette d'émotions derrière son masque naturel, même si on s'attend parfois à ce qu'il colle 50 points de pénalités à Gryffondor. Carrie-Ann Moss, loin de Trinity, campe avec élégance le personnage d'une femme libre en butte aux cancans des bien-pensant de cette petite communanuté provinciale.
Quant à Sigourney Weaver, elle incarne Linda avec une grande justesse, réussissant l'exploit de jouer le mystère de ce que ressent ou non une autiste. On pense bien sûr à Dustin Hoffman dans "Rain Man" ; mais là où on percevait une performance quand celui-ci interprétait Raymond, ici on est encore plus sensible au basculement entre le monde intérieur et la réalité extérieure. Angela Pell, la scénariste, a elle-même un fils autiste, et Sigourney Weaver a travaillé avec une jeune femme autiste ; son personnage n'est pas construit artificiellement sur l'accumulation de symptomes, mais il est bien inspiré d'une personne réelle. Cette justesse, la pudeur et l'élégance de la réalisation font de "Snow Cake" un film tendre et attachant, bienvenu dans la grisaille de la programmation du moment.