Dès le générique, des bouts de films d'archives tressautants à 16 images par seconde nous montrent d'anciens poilus hagards, nus, agités de tremblements et de convulsions. Ces images que Gabriel Le Bomin a trouvées quand il était aux Cinéma des Armées annoncent et justifient d'emblée le jeu de Grégori Bérangère que sans cela, on aurait pu juger outrancier. Il a d'ailleurs raconté dans une interview qu'à la fin du tournage, certains techniciens le regardaient d'un air inquiet...
En 2001, François Dupeyron avait déjà traité le sujet des tentatives de réparation des dégâts de la Grande Guerre dans "La Chambre des officiers" (avec déjà Grégori Bérangère) ; mais il s'agissait là des gueules cassées, et de leur difficile reconstruction. Ici, c'est de blessures mentales dont souffrent ces soldats, et le médecin-chef (joué par Niels Arestrup) manifeste sa méfiance et une certaine forme de mépris pour ces malades et leur soignants.
"Les Fragments d'Antonin", ce sont les pièces de sa personnailté éclatée au cours de ses expériences de guerre, depuis l'exécution sommaire par un officier d'un soldat paralysé par la peur, le triage de blessés dont les trois-quarts sont condamnés, l'enrôlement dans un peloton d'exécution ou le regard mourant d'un soldat allemand transpercé par sa baïonnette. D'ailleurs, dans ce film, tous les personnages sont amputés de quelque chose : Antonin de sa raison, Madeleine de son doigt tranché à la hache par ses frères alsaciens qui refusent de la voir s'engager du côté français, le Pr Labrousse de son fils virtuose tombé au champ d'honneur, le capitaine de son oeil...
Ce sont aussi les fragments du film, puzzle d'images provenant du documentaire tourné par le Professeur, de celles des expériences menées par son équipe, et des flash-backs qui arrivent dans le désordre, en fonction des souvenirs ravivés par un geste, un nom, une rencontre. Ce désordre, représentatif de la confusion du héros, est parfois dificile à suivre, et certains effets sont trop appuyés, comme la musique sérielle qui accompagne la plongée dans la folie d'Antonin. Le soin apporté à la photographie renforce parfois le sentiment d'un formalisme un peu envahissant, mais l'esthétisme est peut-être là pour mettre à distance la violence de ce qui est montrée, comme elle est enfouie dans la mémoire d'Antonin.
Progressivement, ces petites réticences s'estompent, en même temps que nous nous installons dans le rythme étrange de ce film atypique. Malgré ces quelques maladresses, "Les Fragments d'Antonin" est un film original avec des acteurs qui réussissent à jouer très juste, avec une mention spéciale pour Anouk Grinberg et Yann Colette.
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