Il s’agit ici de mon deuxième volet cannois pour ma seconde rencontre du moment avec le génie du cinéma Orson Welles.
« The tragedy of Othello : the Moor of Venice », titre originel du film, est la troisième adaptation au cinéma de la tragédie de Shakespeare jouée pour la première fois en 1604. La pièce fût portée à l’écran en 1922 dans une version muette et en 1946 à l’époque du parlant.
Véritable forcené du travail, Welles mit du temps à monter ce projet ambitieux : production incertaine (Orson ira jusqu’à jouer dans « Le troisième homme » pour réinvestir son cachet pour le financement de « Othello »), aléas de tournage (désistements de comédiens, costumes impayés, problèmes de doublage, de montage, de décors…). C’est donc en persévérant que le réalisateur de « La dame de Shanghai » s’est investi pour arriver à présenter, monter puis achever le métrage mettant en scène le héros désespéré shakespearien.
Scénario : Après un mariage secret avec Desdémone, Othello, le Maure vénitien, est désigné pour aller combattre la flotte turque sur l’île de Chypre. Vite rejoint par sa femme, Othello devient gouverneur. Son fidèle lieutenant Iago entre en action pour déstabiliser l’ordre établi.
A priori, sur le papier, cela pouvait être inadaptable. Et pourtant, maître Welles prouve qu’il a toutes les qualités et les idées pour mettre en scène des œuvres réputées difficile d’accès. Surtout quand on voit toutes les difficultés par lesquelles il est passé. Rien que pour ça, j’affirme qu’il s’agit d’un génie visionnaire hors norme du cinéma moderne. Je ne vais donner que trois raisons.
La première, c’est par la première scène du film. Démarrant par la mort d’Othello (magnifique visage charismatique d’Orson Welles) sur son lit de mort, les premières notes de musique s’apparentant à un requiem dont le compositeur Willy Ferrero (il a également travaillé pour Visconti sur « La terre tremble ») apporte toute sa démesure, la mise en scène et l’idée scénaristique de commencer par la fin est novatrice pour une pièce de théâtre filmée. Comment ne pas rester de marbre face à cette roublardise étonnante du réalisateur à transformer et façonner une quelconque pièce de théâtre en une telle tragédie antique dès les premières minutes ?
Le second atout de « Othello », c’est de pallier toutes les difficultés économiques, de costumes, de décors et de comédiens en une mise en scène baroque (comprenez esthétiquement finie). Egalement dotée d’un N&B parfait (et toujours de belles ombres portées tels Curtiz pourrait le faire), d’un rythme soutenu (les puristes diront que certains passages de l’original sont écourtés) et d’une ambiance oppressante (l’action se déroule dans un espace unique : le palais de Chypre est bordée par les falaises et la mer), le metteur en scène Orson Welles magnifie sa réalisation par sa griffe habituelle et rend ainsi « Othello » flamboyant, épique et lyrique. Parfois, on a même l’impression d’assister à un Visconti en N&B, la flamboyance des décors et des costumes se faisant sentir autour de sa patte.
Le troisième et dernier point, c’est bien par la direction du casting que le réalisateur de « La splendeur des Amberson » s’illustre. De n’importe quel acteur ou actrice, il obtient le meilleur. Et « Othello » ne déroge pas à la règle.
Ici, Orson Welles campe le Gouverneur Othello. A la fois arrogant, bienveillant, odieux, miséreux et misérable, il transcende son personnage et prouve (encore une fois !) qu’il est capable de tout jouer. Magnifique, Orson !
Dans le rôle de Desdémone, on trouve une Suzanne Cloutier (vue chez Duvivier dans « Au royaume des cieux ») à la sensibilité fragile, tout en délicatesse. Du beau travail en somme. Michael McLiammoir () prête ses traits à l'infâme Iago, lieutenant et serviteur d’Othello. D’une extrême justesse, McLiammoir affronte Welles dans un combat/duel d’acteur au sommet. Il en ressort une interprétation intense, digne d’être un représentant majuscule des meilleurs méchants du septième art. Machiavéliquement parfait, Michael incarne le mal shakespearien absolu, viscèrement parlant. Simplement extra !! Le duo Welles/McLiammoir atteint des altitudes totalement appréciables. Super !
De l’autre partie du casting de générique, on notera Joseph Cotten (l’éternel ami wellesien) et Joan Fontaine (« Rebecca », « Lettre d’une inconnue »).
Pour conclure, « Othello » (1952), est un chef d’œuvre d’époque qui ravira les amateurs de fresque biblique et les inconditionnels du cinéma en général. Un film mythique aujourd’hui qui a atteint ses lettres de noblesse une fois le tournage accompli. Le Grand Prix à Cannes (en 1952) est amplement mérité.
Spectateurs, pour une culture cinématographique complète.
Accord parental souhaitable.
PS : je pense que Disney s’est penché sur le perfide Iago de Shakespeare pour en faire le vil perroquet animé, copain de Jafar, dans « Aladdin » (1993).