Contrairement à V, le film avance à visage découvert. Dès les premières minutes, il s'affiche ouvertement comme un récit idéaliste – au sens philosophique du terme. Ce qui l'oppose, de facto, à une vision matérialiste, qui trouve sa source dans des vécus concrets, et articule un mouvement révolutionnaire de masse.
Or, c'est tout le contraire du projet de V. C'est un homme individualiste, qui s'enorgueillit d'incarner la révolution à lui tout seul, et de se battre pour des idées, pour la liberté. D'abord, il faudrait préciser de quelle liberté on parle. De circuler ? De vivre ? De penser ? Toutes les libertés à la fois ? Y compris celle de torturer et de tuer ?
Dans une incarnation romanesque de l'émancipation, V, sorte de Batman dandyfié, se distingue par son penchant envers le Moyen-Âge. Intéressant de constater qu'un personnage drapé de progressisme se tourne vers les arts médiévaux.
Il collectionne les tableaux et bibelots moyenâgeux, il s'habille et dialogue comme dans l'ancien temps, mais se sert tout de même des technologies récentes, comme la télévision. Son film préféré – qu'on aurait pu prédire dès sa première prise de parole – est Le Comte de Monte-Cristo
.
Comme Dantès, sa colère découle d'un profond sentiment d'injustice, se traduisant par une vengeance d'ordre gouvernemental. En même temps, en lui opposant un ersatz de la dictature de 1984, on balaie tout contradicteur de son combat.
En revanche, cet adversaire consensuel ne nous aveugle pas sur les méthodes nauséabondes qu'il emploie pour le combattre et rallier Evey à sa cause.
C'est en la torturant, en lui faisant revivre les conditions de détention des camps de concentration, que celle-ci oublie la peur – en tant qu'émotion primaire
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Rarement on avait légitimé, à ce point, la torture au cinéma.
Atteint d'un syndrome de Stockholm, Evey pardonne et s'éprend même de V, lui qui a réussi à l'éveiller politiquement… Elle embrasse la liberté. Ou plutôt son illusion pompière et diffuse.