Samir Abdallah et José Reynès expliquent le sens de la démarche des écrivains : "Le simple fait d'être sur place, de poser son pied en Palestine occupée, est le premier acte d'engagement de ces écrivains. Historiquement, c'est la première fois qu'autant d'écrivains partent ensemble dans une situation de conflit, que ce soit au moment de la guerre d'Espagne ou de celle des Balkans. De plus, il y a ce que Consolo appelle le devoir d'écrire après ce qu'il a vu. Et nous, cinéastes, avons le devoir de montrer."
Né à Copenhague de père égyptien et de mère danoise, installé en France depuis l'âge de 6 ans, Samir Abdallah a réalisé plusieurs reportages et documentaires sur l'immigration et le monde ouvrier. Il s'est souvent intéressé à des luttes politiques, qu'il s'agisse des Sans-logis dans Chronique du Dragon en 1995 ou des immigrés en situation irrégulière dans La Ballade des sans-papiers l'année suivante. Certains de ces films étaient déjà consacrés au conflit israëlo-palestinien : Nous retournerons un jour (1999) sur les Palestiniens au Liban, Voyage en Palestine(s), la 1ère mission civile(2001) et Chronique d'un siège (2003). En mai 2001, il a coordonné, avec un groupe d'amis, la " Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien ", qui organise l'envoi de missions civiles sur le terrain.
Enfant d'émigrés italiens et espagnols, José Reynès, co-réalisateur d'Ecrivains des frontières, a parcouru le monde dans le cadre de ses précédents documentaires, de Paris, dans Belleville est un roman (1996), aux Etats-Unis, dans Louisiana blues en 1993 ou La Route 66 à vélo en 1995.
En juillet 1993, l'écrivain et journaliste Tahar Djaout est assassiné. Réunis à Strasbourg, des intellectuels du monde entier éprouvent alors la nécessité de mettre en place une structure qui leur permettrait de manifester leur soutien aux écrivains persécutés. Un appel signé par 300 auteurs débouche en 1994 sur la création du Parlement des écrivains, sous la présidence de Salman Rushdie qui met alors au point une "Déclaration d'indépendance". Lui succèdent à ce poste Wole Soyinka en 1997, puis Russell Banks en 2000. Et c'est en réponse à un appel du poète palestinien Mahmoud Darwish, membre fondateur du Parlement des écrivains, qu'une délégation se rend en Palestine en mars 2002.
Samir Abdallah et José Reynès reviennent sur la personnalité et le style de certains des écrivains qui faisaient partie de la délégation : Nous avons choisi de faire raconter la chronique du voyage par un Chinois, et en chinois ! (...) Bei Dao raconte le voyage avec beaucoup de simplicité, de précision et d'humour. Russell Banks, le président du Parlement des écrivains, est le représentant du groupe, il pense en direct. Christian Salmon a davantage une réflexion sur le langage et le territoire. Vincenzo Consolo est l'écrivain classique, avec des références à la tragédie grecque. Breyten Breytenbach prononce un "J'accuse" à la Zola, Juan Goytisolo décortique et analyse... Enfin, il y a la poésie magnifique de Mahmoud Darwish, qui est le leitmotiv du film."
Des écrivains venus du monde entier sont venus faire entendre leur voix en Palestine, et les cinéastes ont été particulièrement soucieux de rendre compte de la variété des langues parlées : "Dès le début du voyage, au théâtre Al Kassaba de Ramallah, chaque écrivain a dit un texte dans sa langue, devant des gens qui, pour certains, avaient mis deux jours pour arriver", soulignent-ils. "C'était un moment très intense. Au-delà des mots, quelque chose passait. Nous avons voulu rendre cela sensible, et construire le film sur cette polyphonie. C'est pourquoi, après le voyage, nous avons revu les écrivains pour les enregistrer dans leur langue, chacun lisant le texte qu'il avait écrit à son retour. Il s'agissait de créer un point de rencontre entre ces paroles et les images. Comment rendre cinématographiquement la langue et l'écriture. C'est là que se situe notre proposition de cinéma." Rappelons que dans le film se côtoient notamment un Espagnol (Goytisolo), un Nigérian (Soyinka), un Italien (Consolo) et un Sud-Africain (Breytenbach).