Un film d’une beauté et d’une tristesse sans nom. Plongé dans une ambiance morose appuyée par ces images aux couleurs froides et cafardeuses, Laurence Dunmore redonne vie au compte de Rochester, le plus grand libertin que la terre n’ait connu, menant une vie de débauche dans cette Angleterre boueuse que fut celle du 17ème siècle. Un provocateur sarcastique n’ayant nullement peur de la controverse et du scandale, incapable de s’employer à l’hypocrisie du monde et dédaignant la société dans laquelle il vit “J’ai le devoir de m’exprimer car ce qui se passe dans ma tête est toujours plus intéressant que ce qui se déroule dans le monde qui nous entoure”. Un bon vivant dites-vous? Certainement pas, car un bon vivant aime la vie alors que lui en ait contraint, et s’adonne à toutes sortes d’excès afin de la supporter. Le personnage de John Wilmot est mis à nu, notamment dans la scène du premier cours de théâtre avec Mrs Barry, une scène extrêmement prenante de par sa douceur poétique ainsi que ses brillants discours. Il se révèle être un homme immensément passionné, mais aussi d’une profonde tristesse inébranlable liée au vide insatiable qu’il éprouve, ne se traduisant que par froideur et mépris « Je souhaite qu’on m’émeuve, car je n’éprouve rien dans la vie. J’ai besoin que d’autre le fasse pour moi, ici, au théâtre. [...] Je suis le plus grand cynique vivant dans cet âge d’or. [...] La vie n’a nul but, partout elle est pervertie par l’arbitraire, que je fasse une chose ou un bien l’inverse cela n’a aucune importance. Mais sur les planches d’un théâtre, n’importe quelle action, bonne ou mauvaise, à ses conséquences. [...] Le théâtre est ma drogue ». On y découvre également le personnage fort qu’est Elizabeth Barry, une femme remarquablement ambitieuse, indépendante et intelligente, puis surtout très avant-gardiste du fait de son sarcasme et de son insolence. La tristesse de ce film est sollicitée par l’époustouflante soundtrack de Michael Nyman, collant si justement au désespoir du personnage ainsi qu’à son destin tragique. L’affliction de la fin est accompagnée par l’émouvante et merveilleuse composition classique « If », toujours de Nyman, interprété par la sublime voix contralto d’Hilary Summers. La vie de dépravation de John aura eu raison de lui, l’emportant dans la souffrance de la maladie, et aucun détail n’est épargné. Comme dans le reste du film d’ailleurs, que ce soit la vulgarité des mots ou la vulgarité des gestes, tout y est, sans filtre et sans romance, avec un incroyable franc parlé de Rochester qui reste néanmoins poétique, et il est là le génie. Ce dramaturge incompris a été mis à mal par son ultime pièce blasphématoire à cause de ce génie là, de sa non-hypocrisie et de son œil visionnaire. Le terme exceptionnel est faible pour décrire l’incroyable performance de Johnny Depp ineffablement poignante, d’autant plus dans les derniers instants du film avec son impressionnante transformation. Il est si convaincant, intimidant et charismatique avec un air méprisant d’éternel insatisfait, il a capté le personnage. Finalement John Wilmot, deuxième compte de Rochester, m’inspire autant de pitié et de compassion que de fascination, mais en aucun cas du dégoût, en tant que libre penseur il a su garder ses convictions jusqu’à la fin, et aussi controversée qu’elles puissent-être, c’est admirable. À la question « Est ce que vous m’aimez en cette heure? », je répondrai oui.