Ayant pris la température de l'univers de Jodorowsky avec "El Topo" je partais tout de même avec un bagage pour entamer un nouveau voyage dans le crâne de ce fou furieux du cinéma, "La Montagne Sacrée" est juste une expérience comme j'en n'ai rarement vécu, un trip hallucinatoire dont on ne ressort pas indemne c'est certain.
Son film déborde d'idées et de symbolisme, le parcours initiatique de neuf personnes d'influence pour atteindre l'immortalité, renoncer à leur biens matériels et au monde pour découvrir le sens de la vie, Jodorowsky dépeint la violence, la cupidité et l'obscénité de l'homme, il veut le laver de ses pêchés. Le rapport à la religion est assez critique, le catholicisme en prend pour son grade, il le voit comme une représentation corruptrice de l'individu, d'une image détournée, il le tourne même au ridicule comme dans cette scène de l'église avec le curé, semble t-il un peu dérangé sur les bords, il ouvre la voie à une autre forme de sacralisation, une sorte de secte jodorowskienne où la purification se réalise par l'apprentissage et la dépossession matérielle, on peut y voir un certain rapprochement avec le bouddhisme (déjà abordé dans "El Topo").
Il est vraiment difficile de décrypter tout les symboles de ce film, il en est rempli, pour le faire je pense qu'il faudrait le revoir plusieurs fois pour espérer y trouver des indices, mais après tout est ce vraiment utile ? Pas sur. Car ce côté quasi abstrait et très artistique qui en découle joue aussi sur notre ressenti majeur par rapport à l'objet cinématographique que propose Jodo, un peu comme analyser un tableau surréaliste de Dali, l'improvisation d'un créateur peut donner lieu à diverses interprétations, c'est avant tout sensitif et cognitif, il stimule, interpelle, fait réagir. Je pense que ce gars là a tout compris au support du septième art, il en fait quelque chose de puissant, créatif, authentique et implicitement subversif, son film a une âme, une personnalité, une signature, c'est la marque des artistes.
Il invente constamment, que ça soit les costumes, les décors ou les objets, genre la machine à orgasme fallait vraiment le faire, ah ah j'ai trouvé cette scène complètement dingue, parfois c'est tellement haut perché qu'on se demande comment on peut imaginer des trucs pareils, en même temps ça colle bien avec le contexte fin 60 début 70 et la mode des hallucinogènes en tout genre, Jodorowsky expérimente et s'amuse du cinéma, et quand on a du talent on accouche d'une œuvre intéressante en cherchant à dépasser sa propre ambition, et pour le coup c'est réussi.
Et plus le film avance plus on bascule dans un univers extrêmement singulier, on pète les barrières nous rattachant à une quelconque tangibilité, c'est autant notre expérience que celle de ces neuf sages, on lâche derrière nous nos principes et notre rapport au réel, cela peut être douloureux mais il faut s'accrocher pour gravir le sommet de ce long métrage ...
"Je vous ai promis la vérité, vous n'allez pas être déçu" lâche Jodo imself lors de cette scène finale pour le moins surprenante,
où il nous sort en quelque sorte de notre catharsis, il n'oublie pas qu'un film, aussi expérimental qu'il soit, reste un film, un objet et non une réalité suggérée, il force le spectateur à émerger de son rêve et retrouver la vie extérieure pour ne pas l'instrumentaliser, il ne se veut en aucun cas sectaire.
Oui "La Montagne Sacrée" est bizarre, assez excluant et parfois déconcertant, mais il est vraiment extrêmement intéressant dans le traitement de son univers et de son propos, Jodorowsky fait parti de ces cinéastes qui ont une vraie ambition et qui ne triche pas avec la caméra, il dompte la pellicule pour en sculpter une forme particulière et quasi abstraite, il suffit simplement d'y entrer et d'en sortir.