En 2003, Khamosh Pani est le grand triomphateur du Festival de Locarno. Il y reçoit en effet la plus haute récompense, le Léopard d'or, mais aussi le prix d'interprétation féminine pour Kirron Kher (ex aequo avec Holly Hunter et Diana Dumbrava) et le Prix du jury oecuménique. En outre, la même année, la Montgolfière d'argent et le Prix Fip-Prix du public ont été décernés au film lors du Festival des Trois continents de Nantes.
Avant de tourner ce premier long-métrage de fiction, Sabiha Sumar a réalisé plusieurs documentaires sur la situation politique de son pays, le Pakistan. Elle revient sur l'origine de Khamosh pani : "En 1996, je pensais développer un documentaire avec Satha, le coproducteur pakistanais du film). Nous nous sommes mis à la recherche de sujets pour le cinquantième anniversaire - 1997 - de l'indépendance du Pakistan et du départ des Britanniques du sous-continent indien. J'ai commencé à m'intéresser aux violences qu'avaient pu subir des femmes pendant la partition de l'Inde et du Pakistan en 1947 et à récolter des informations sur les enlèvements de femmes par la partie adverse près des frontières du Pendjab et du Bengale."
La cinéaste explique pourquoi elle a finalement choisi de tourner une fiction plutôt qu'un documentaire : "J'ai essayé de localiser dans la ville fortifiée de Lahore des femmes susceptibles d'avoir souffert de violences pendant la partition. Mais je me suis heurtée à un silence de plomb (...) j'ai pu profondément ressentir la violence qui est faite à une femme enlevée aux siens, qui doit vivre dans un pays qu'elle n'a pas choisi, contrainte de se convertir à la religion de son ravisseur et de mettre au monde ses enfants (...) cela m'a rappelé le sort de celles qui, en Bosnie ou en Kosovo, ont enlevées ou faites prisonnières, et, dans un passé plus lointain, les tragédies vécues par les Juives dans une Europe déchirée par la guerre. Je me suis aperçue que je ne pouvais pas filmer une femme qui s'était retrouvée dans une telle situation (...) Mais l'histoire devait être racontée. Sous forme de fiction."
Kirron Kher, qui tient le rôle principal, est la seule comédienne professionnelle de Khamosh pani. On l'a vue en 2002 dans Devdas de Sanjay Leela Bhansali. Pour le reste de la distribution, la réalisatrice a fait appel à des amateurs, avec qui elle a mis en place des "ateliers d'acteurs".
Avec ce film, Sabiha Sumar évoque le danger que représente un pouvoir qui mêle politique et religion. Elle précise : "Quand le Général Zia-ul-Haq a décidé d'utiliser les ressources de la Constitution pour rendre suprême la volonté de Dieu, au-dessus de la volonté populaire, nous sommes entrés dans une zone dangereuse pour le Pakistan (...) L'islamisation des années Zia s'est infiltrée comme de la fumée dans les lézardes de la société pakistanaise. Au fil des ans, nous avons vu celle-ci changer lentement, passant d'un modèle ouvert et libéral à un état plus conservateur et restrictif. Nous pouvons voir ce mélange de religion et de politique à l'oeuvre dans quelques pays occidentaux autrefois laïques et où le pouvoir des forces religieuses est grandissant."
Le titre du film, Khamosh pani, peut se traduire par "les eaux du silence". Quant au prénom de l'héroïne, Virou, il signifie "femme courageuse".
La réalisatrice a souhaité donner à son héroïne des qualités qu'elle attribue au soufisme, doctrine esotérique de l'Islam. "Virou / Aïcha a des caractéristiques soufies (une personnalité ouverte et généreuse) dont la philosophie de vie peut se résumer ainsi : "Un Dieu unique n'existe pas, ce qui importe, ce sont les Dieux dans leur ensemble. Ce point de vue vient peut-être de ma propre éducation soufie. En tout cas, je cherchais une actrice qui pouvait exprimer l'essence de la vision soufie du monde."