« Max et les ferrailleurs ». Le titre résume à lui seul le film : deux mondes que tout oppose. D’un côté, Max : trois lettres pour un personnage dont on ne sait rien, si ce n’est des origines bourgeoises dans le Mâconnais, un passé de juge d’instruction et une vague sœur à laquelle il emprunte une voiture en début de film. Un flic froid, solitaire, méticuleux, calculateur, tenace, revanchard. De l’autre les ferrailleurs, une bande de malfrats ratés, sans le sou, bricoleurs, influençables, insouciants, fêtards, bons vivants. Seul trait d’union entre ces deux mondes inconciliables : Lily, prostituée attachante, dont la beauté va progressivement séduire Max sans qu’elle se doute qu’il se sert en fait d’elle pour tendre un piège aux ferrailleurs et au meneur de leur bande, Abel, son compagnon.
Si le personnage de Lily n’apparait à l’écran qu’au bout de seulement trente minutes, Claude Sautet ne le lâche ensuite plus et s’en sert amplement pour alterner les moments entre Max et Lily et ceux où Lily retrouve les ferrailleurs. La construction du film est, de ce point de vue, remarquable. Sautet permet très rapidement au spectateur de comprendre le stratagème de Max et le guide pas à pas vers le guet-apens final qui, orchestré avec autant de minutie, ne pouvait déboucher que sur le flagrant délit parfait tant recherché par Max. L’alternance du monde nocturne de Max, aussi terne que la couleur de son chapeau ou que celle des murs du studio dans lequel il retrouve Lily chaque soir, avec le milieu plus coloré et jovial des ferrailleurs, qui donne au film ses seuls rayons de soleil et ses seuls aspects festifs, démontre une grande maitrise des décors, des costumes et de la lumière.
Comme dans chacun de ses longs métrages, Sautet apporte à « Max et les ferrailleurs » une touche très personnelle en ancrant le film dans la réalité du moment : il lui donne pour toile de fond une attaque de banque à main armée, fait divers courant dans les années 1970. Sa mise en scène impressionne par sa précision notamment lors des scènes de café que Sautet multiplie à l’instar de ce qu’il a fait dans nombre de ses films (« Quelques jours avec moi », « Nelly et Monsieur Arnaud » et surtout « Garçon » qui a pour principal décor une brasserie parisienne). Dans la France que décrit Claude Sautet, le café devient le centre de la vie sociale comme l’était l’agora chez les Grecs. Les scènes de commissariat, plus propres à « Max et les ferrailleurs » sont, quant à elles, le reflet d’une époque révolue avec leurs machines à écrire et la fumée des cigarettes qui envahit chaque pièce. Si la scène des photos dans la salle de bains peut paraitre superflue et n’avoir été ajoutée que pour mieux mettre en valeur le duo Piccoli – Romy Schneider, on notera en revanche la touche rhomérienne apportée aux dialogues par Sautet lorsqu’il fait dire à Max que « passer du temps avec une jolie femme n’a pas de prix ».
L’interprétation des deux principaux acteurs est à la mesure de la complexité de leurs personnages. Piccoli et Romy Schneider se montrent notamment au sommet de leur art lors des scènes qui amènent au dénouement final. Le dernier plan montrant la silhouette de Lily se reflétant dans la vitre de la voiture embarquant Max est magnifique de créativité et d’expressivité. Le monde de Max, celui d’un flic impitoyable juste bon à exécuter mécaniquement la sentence, est en train de basculer : Max a rejoint le monde des êtres humains doués de sentiments, un monde semblable à celui des ferrailleurs. Mais n’était-ce pas là, dès le départ, sa destinée ?